Ces femmes qui font bouger les lignes

Édition 2024

Rachele ALLENA

«  La recherche nous fournit de nouveaux concepts à transmettre. »

Qui êtes-vous ?

Je suis italienne, mais j'ai pas mal voyagé avant d'atterrir à Nice: Grenoble, Chicago, Paris, Barcelone puis Paris à nouveau. Quand j'ai démarré ma thèse en biomécanique à l'Ecole Centrale à Paris, je ne voulais absolument pas devenir chercheuse à l'université, encore moins enseignante. Si j'ai décidé d'entreprendre cette voie, je le dois à mon directeur de thèse qui m'a appris que recherche et enseignement vont de pair. D'un côté, la recherche nous fournit de nouveaux concepts à transmettre. De l'autre côté, l'enseignement et l'exercice difficile d'expliquer à un public hétérogène nous font comprendre en profondeur ces mêmes concepts voire aller au-delà. Donc me voila Maîtresse de conférences en biomécanique ! Je construis des modèles numériques pour reproduire des phénomènes biologiques et comprendre comment les cellules agissent et réagissent à leur environnement mécanique.

Qu’est-ce que "faire bouger les lignes pour vous" ?

Faire bouger les lignes pour moi c'est prendre des risques et sortir des sentiers battus. C'est l'essence même de la recherche et en tant que tel on se doit d'essayer d'aller toujours un peu plus loin, puisque notre fonction nous le permet et nous donne cette grande liberté. Malheureusement, la recherche devient de plus en plus un instrument de compétition et non de connaissance et découverte. Les grands chercheurs et les grandes chercheuses ont souvent dû se battre pour affirmer des nouvelles idées et la plupart du temps ils ont été rejetés par leurs communautés avant d'être enfin reconnus. Ce qui compte c'est la conviction et la persistance.

Quelles sont vos forces ?

J'ai toujours pensé qu'être rapide était une grande force. Jusqu'à mes études supérieurs, j'ai jonglé entre école et tennis à haut niveau et il fallait bien que je me débrouille pour finir mes devoirs dans les temps pour pouvoir partir aux entraînements et aux tournois. Avec l'âge (et quelques déceptions...) j'ai appris qu'un peu de patience ne fait pas de mal...d'ailleurs, j'aurais gagné beaucoup plus de matchs si j'avais été plus patiente sur le terrain ! Tout vient à point à qui sait attendre...Ce n'est pas facile tous les jours, mais j'essaye!

Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?

 Il n'y a pas eu de fait marquant dans ma carrière, mais des rencontres marquantes oui. D'ailleurs, je pense qu'une carrière est faite de rencontres. Quand on a la chance de croiser des personnes charismatiques avec un savoir à transmettre, il faut en profiter pour apprendre et s'améliorer.

Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?

La recherche est faite d'obstacles constants. De ce fait on peut avoir des périodes où on ne trouve pas la motivation ou on a l'impression de ne pas avancer. Dans ces cas, j'ai toujours trouvé un allié dans le sport. Ça permet de se vider la tête, de changer d'air, de se focaliser sur d'autres objectifs et on retrouve vite l'énergie nécessaire pour se replonger dans ses projets.

Quels sont vos projets ?

Depuis ma thèse de doctorat, mes travaux de recherche ont été à la frontière entre mécanique, mathématiques et biologie. Malgré la complémentarité de ces trois domaines, souvent la communication et la compréhension peuvent être difficiles. Lors de mon séjour il y a quelques années au Mechanobiology Institute de Singapour, j'ai été immergée dans un environnement fortement interdisciplinaire où mécaniciens, physiciens, mathématiciens et biologistes discutent et réfléchissent ensemble sans aucune barrière. C'est à ce moment que je me suis dit qu'il aurait fallu créer la même structure en France. Depuis mon arrivée à Nice, je tiens fortement à ce projet. Avec des collègues nous organisons l'année prochaine un semestre thématique sur la mécanobiologie avec des colloques, des écoles d'été et des séminaires. La création d'un institut fédérateur sera la prochaine étape. Je suis convaincue que Nice et notre université attireront des chercheuses chercheurs nationaux et internationaux de très haut niveau.

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?

La cohérence envers soi même et les autres.

Une personne inspirante pour vous ?

Rita Levi Montalcini a toujours été un modèle pour moi non seulement d'un point de vue scientifique, mais aussi d'un point de vue humain. Une femme extrêmement intelligente, élégante, délicate mais forte au même temps. Elle ne s'est jamais laissée influencer par son environnement et elle a soutenu ses idées jusqu'au bout. Depuis toujours j'essaye d'appliquer un de ses principes:  il vaut mieux ajouter de la vie aux jours, que des jours à la vie. C'est le secret du bonheur !

Corine BERTOLOTTO

 « Mon ambition est de comprendre ces maladies et améliorer la santé des patients. »

Qui êtes-vous ?

Je suis directrice de recherche à l’INSERM. Je suis née à la Seyne sur mer et après mon baccalauréat je suis venue à Nice pour y effectuer mes études en biologie. Plus jeune, j’étais fascinée par les effets du soleil, élément central de notre environnement du Sud de la France, sur la couleur de la peau. C’est donc naturellement que j’ai rejoint à Nice le laboratoire dirigé par le professeur Ortonne, à l’époque chef du service de dermatologie du CHU de Nice. Sous sa direction, j’ai réalisé une thèse de sciences pour étudier le mélanocyte, la cellule de notre organisme spécialisée dans la production des pigments mélaniques responsable de la pigmentation cutanée. J’y ai rencontré un chercheur exceptionnel Robert Ballotti, qui est devenu mon époux. J’ai 2 garçons que j’admire. Ils me font rire. J’apprends beaucoup d’eux.

J’ai commencé ma carrière en étudiant les processus qui contrôlent la couleur de notre peau. Pourquoi s’intéresser à la couleur de la peau ? Parce qu’il existe de nombreuses pathologies pigmentaires (vitiligo, mélasma, lentigo) et bien que celles-ci ne mettent pas la vie des patients en danger, elles peuvent avoir un impact social et psychologique très important. Il est donc important de pouvoir soigner et soulager les patients. Nous continuons toujours nos travaux dans ce domaine, mais nous travaillons aussi beaucoup sur une autre pathologie du mélanocyte, le mélanome cutané afin d‘identifier des thérapies contre ce cancer agressif. Plus récemment, j’ai développé des projets sur le mélanome oculaire, un type de mélanome méconnu car plus rare et très différent de celui de la peau, mais aussi très agressif.

Mon ambition est de comprendre ces maladies et améliorer la santé des patients.

Qu’est-ce que "faire bouger les lignes pour vous" ?

Une alchimie entre des rencontres (écouter, apprendre des autres, se remettre en question) et la possibilité de faire des propositions (réfléchir, innover, tester les nouvelles hypothèses). J‘ai eu la chance de faire de magnifiques rencontres tout au long de mon parcours et de jolies découvertes qui ont permis d’apporter de petites pierres à cet édifice ambitieux qu’est l’amélioration de la santé humaine.

Je ne peux pas citer tout le monde ici, mais en parlant de rencontres, j’aimerai rendre hommage à 2 collègues : le docteur Brigitte Bressac-de Paillerets oncogénéticienne à Gustave Roussy à Paris et le professeur Colin Goding, chercheur au Ludwig Institute à Oxford en Angleterre. Ils m’ont permis d’accéder à des groupes de travail du plus haut niveau qui ont été déterminants pour mes recherches et ma carrière.

Quelles sont vos forces ?

Mes forces sont en lien avec mes racines et avec la pratique d’une activité sportive en compétition, l’athlétisme, plus jeune : motivation, persévérance, détermination, résilience. Je crois qu’en recherche ces différents éléments sont indispensables.


Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?


La prise de direction de mon équipe. Je n’étais pas sûre d’être à la hauteur de cette fonction, en tout cas au niveau de la barre que je m’étais fixée. Une opportunité s’est présentée, je me suis décidée à la saisir, je me suis lancée. Pour l’instant, ça marche plutôt très bien.

Dans le même temps, j’ai rencontré la professeure Stéphanie Baillif, cheffe du service d’ophtalmologie du CHU de Nice. Elle m’a fait confiance pour développer les projets sur les tumeurs oculaires. Je suis heureuse de travailler avec elle et son équipe de jeunes médecins dynamiques et motivés.

Cette alchimie, encore, contribue à ce que je fasse partie de cette aventure. J’aimerai d’ailleurs remercier le président d’Université Côte d'Azur, Jeanick Brisswalter, Diana Sebbar et toute leur équipe, de mettre les femmes à l’honneur à travers cette exposition. Quelle fierté d’y participer !

Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?

Plutôt un challenge qu’un obstacle. Développer de nouveaux projets sur les mélanomes oculaires, des tumeurs très différentes des mélanomes cutanés. Recommencer de rien, réunir les outils de travail et développer un nouveau réseau de collaborateurs et de collaboratrices a été un véritable challenge qu’on a surmonté.

Mention spéciale aux membres de mon équipe qui sont extrêmement méritants. Bravo à eux pour le travail fantastique qu’ils ont accompli durant toutes ces années pour faire avancer les projets.

Notre mantra, donner le meilleur pour les patients.

Quels sont vos projets ?

Suivre mes rêves, y croire, tout en restant fidèle à mes valeurs. Je vais continuer à travailler avec passion et détermination sur mes projets.

Actuellement, j’ai un projet de transférer des résultats de mes recherches sur le mélanome oculaire hors laboratoire. Avec mon équipe, on a développé une signature moléculaire que je souhaite apporter à la clinique pour aider à la prise en charge des patients. Nous recherchons des investisseurs !


Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?

L’exigence, la bienveillance et la loyauté, c’est important, et in fine je pense que ça fait la différence. 

 « N‘essayez pas de devenir un homme qui a du succès. Essayez de devenir un homme qui a de la valeur ». Albert Einstein


Une personne inspirante pour vous ? 

Il y en a plusieurs en Science et hors-Science. Je m’inspire beaucoup des autres, surtout des meilleurs. J’ai choisi pour cette exposition de mettre à l’honneur mes parents. Ils m’ont appris que l’épanouissement personnel et la réussite passaient par le travail et les études. Quelle chance de les avoir à mes côtés. Grâce à eux je suis là aujourd’hui. J’espère avoir été aussi inspirante pour mes enfants. Côté professionnel, je pense à Marie Curie. Ses travaux sur la radioactivité sont à l’origine des approches de radiothérapie actuellement utilisées en clinique et avoir 2 prix Nobel à une époque où les femmes avaient moins accès à l’éducation et devaient rester au foyer, ça force le respect.

Ulrike MAYRHOFER

« La diversité des parcours peut constituer une réelle richesse si on arrive à construire des projets collectifs. »

Qui êtes-vous ? 

Je suis Professeure des Universités en Sciences de Gestion à l’IAE Nice, Université Côte d’Azur, où je dirige le Master « Recherche et Conseil en Management » et le Laboratoire GRM (Groupe de Recherche en Management). D’origine autrichienne, j’ai effectué mes études supérieures à Vienne, Strasbourg et Florence. Je suis titulaire d’un doctorat en sciences de gestion de l’Université de Strasbourg et lauréate du concours d’agrégation de l’enseignement supérieur. Passionnée par l’Europe et l’international, j’ai développé mes activités d’enseignement et de recherche dans le champ du management international. Je m’intéresse en particulier aux stratégies d’internationalisation des entreprises. J’ai occupé un poste de Maîtresse de Conférences à l’Ecole de Management de l’Université de Strasbourg avant d’être nommée Professeure des Universités à la Faculté des Affaires Internationales de l’Université du Havre. J’ai ensuite rejoint l’IAE Lyon, Université Jean Moulin Lyon 3 avant d’occuper mon poste actuel à l’IAE Nice, Université Côte d’Azur. Dans mon parcours d’enseignante-chercheuse, j’ai eu l’occasion de développer des formations et des équipes de recherche dans mon domaine d’expertise.

Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?

La première direction d’un laboratoire a été le fait le plus marquant de ma carrière. L’IAE Lyon, Université Jean Moulin Lyon 3, m’avait confié la direction du Laboratoire Magellan et j’avais pour mission de développer les activités de recherche, d’impulser une dynamique collective et de renforcer le rayonnement international. Le projet était ambitieux et c’était une belle expérience sur le plan personnel et professionnel. J’étais donc ravie quand on m’a proposé de renouveler l’expérience et de prendre la direction du Laboratoire GRM (Groupe de Recherche en Management) de d'Université Côte d’Azur.

Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?

Dans la direction d’une équipe ou d’un laboratoire, les obstacles sont souvent liés à la diversité des parcours et des perspectives. Les enseignants-chercheurs et les enseignantes-chercheuses ont des profils variés et il est parfois difficile de concilier les activités d’enseignement, de recherche et administratives. J’essaie d’être à l’écoute et d’accompagner les membres de notre laboratoire dans leurs activités et leurs projets. La diversité des parcours peut constituer une réelle richesse si on arrive à construire des projets collectifs qui permettent de valoriser des compétences variées autour d’une vision partagée.


Qu’est-ce que "faire bouger les lignes pour vous" ?

Pour faire bouger les lignes, je cherche à entreprendre des projets sur des sujets novateurs avec les entreprises (mon objet d’étude) et à partager ma passion pour mon domaine de recherche – les stratégies d’internationalisation – avec des publics variés, notamment avec des étudiants et étudiantes, des enseignants-chercheurs et enseignantes chercheuses, des dirigeants et dirigeantes d’entreprises ».

Quelles sont vos forces ?

Mes principales forces sont une grande capacité de travail, une curiosité intellectuelle et une exigence scientifique. Mon expérience et ma vision internationales enrichissent les multiples activités – enseignement, recherche, direction de formations et d’équipes de recherche – que je réalise dans mon métier d’enseignante-chercheuse.

Quels sont vos projets ?

Je souhaite développer des projets sur les stratégies d’internationalisation des PME (petites et moyennes entreprises), qui constituent la majorité des entreprises dans notre région, en intégrant les dimensions digitales et environnementales. Je prépare actuellement deux projets de recherche : un projet avec des équipes de recherche italiennes qui vise à accompagner les PME de nos territoires dans la transformation digitale ; un projet avec des équipes de recherches anglaises, finlandaises et italiennes dont l’objectif est d’accompagner les PME européennes dans la transition écologique et durable.

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ? 

Je suis bienveillante, enthousiaste et optimiste, et j’essaie de partager mes passions personnelles et professionnelles avec les personnes qui m’entourent.

Une personne inspirante pour vous ? 

J’ai eu la chance de rencontrer Sabine Urban, Professeure des Universités à l’Université de Strasbourg, au début de mon parcours. C’est la personne qui a créé et dirigé l’Ecole de Management de l’Université de Strasbourg. Sabine Urban est une femme en avance sur son temps, tournée vers l’Europe et l’international. J’ai toujours admiré sa curiosité intellectuelle, sa créativité stimulante et sa capacité à mener des projets transversaux. J’ai beaucoup appris en travaillant à ses côtés, d’abord comme étudiante et doctorante, et ensuite comme enseignante-chercheuse. Notre ambition est d’apporter des éléments de réponse aux défis managériaux des entreprises dans un monde en perpétuelle mutation.

Véronique PAQUIS-FLUCKLINGER

« Les avancées scientifiques rendront possible demain ce qui semble impossible aujourd’hui. »

Qui êtes-vous ?

Je suis médecin et chercheuse, dans cet ordre. Pédiatre de formation, j’ai vite compris au cours de mon internat que les progrès de la génétique allaient transformer les concepts et l’exercice de la médecine. C’est pourquoi, parallèlement à ma formation en génétique médicale, j’ai réalisé une thèse de biologie moléculaire dans l’unité Inserm du Pr François Cuzin.

Aujourd’hui, je dirige le service de Génétique Médicale du CHU de Nice et une équipe à l’IRCAN (Institut de Recherche sur le Cancer et le Vieillissement). Ma thématique de recherche porte sur les maladies mitochondriales, pathologies rares liées à un déficit énergétique, très hétérogènes sur le plan clinique et génétique. Beaucoup de patients et patientes suivis dans le centre de référence maladies rares à l’Archet 2 sont en impasse diagnostique et thérapeutique. Les réponses aux questions scientifiques posées passent par l’utilisation de modèles cellulaires et murins dans l’équipe de recherche à l’IRCAN ; l’objectif étant de revenir ensuite vers les malades avec des solutions à proposer. C’est la recherche qui permet une meilleure prise en charge des patients complexes dans les centres experts des CHU.

Qu’est-ce que "faire bouger les lignes pour vous" ?

C’est partir du principe que les avancées scientifiques rendront possible demain ce qui semble impossible aujourd’hui.  Un peu de bonne volonté a parfois le même effet. Donc ne jamais s’arrêter à une réponse du type « ce n’est pas possible » quand on est persuadé du contraire.

Quelles sont vos forces ?

Être passionnée par la médecine, la biologie et par l’envie d’apprendre, être génétiquement programmée pour ne jamais laisser tomber et travailler avec une super équipe (chercheurs, cliniciens, biologistes, conseillères en génétique, ingénieurs, techniciens, attachés de recherche clinique, secrétaires, aides-soignantes...) permettant d’avoir un véritable continuum entre recherche clinique et fondamentale.

Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?

L’impuissance ressentie devant la perte de certains patients, surtout lorsqu’il s’agissait d’enfants. C’est ce qui a motivé mon intérêt initial pour la recherche : est-ce que mieux comprendre pouvait permettre d’espérer faire mieux la prochaine fois ?

Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?

Le même argumentaire à 2 étapes de ma vie : à 13 ans, à mon entrée au lycée, lorsqu’une conseillère d’orientation a déclaré qu’avec les ressources financières dont je disposais il ne fallait pas avoir la prétention de faire des études de médecine ; beaucoup plus tard, alors que j’étais maîtresse de conférences et qu’un doyen ne comprenait vraiment pas comment je pouvais avoir la prétention de devenir professeure alors que j’avais un mari qui l’était déjà. Vouloir aller au bout de ses rêves n’est pas synonyme de prétention. Quant aux obstacles, ils sont faits pour être contournés.

Quels sont vos projets ?

Continuer à faire les choses parce que j’en ai envie. J’ai passé beaucoup de temps à construire un service de génétique médicale, un centre de référence maladies rares, une équipe de recherche à l’IRCAN. L’expertise de « l’équipe » au sens large est à présent clairement reconnue au plan national et international. Aujourd’hui, j’aimerais arriver à transmettre cette envie d’aller au bout des choses en n’oubliant pas qu’on travaille avant tout pour des patients. Transmettre aussi une certaine idée d’une équipe multidisciplinaire dans laquelle le rôle de chacun est reconnu. A l’ère de la mutualisation pour plus de rentabilité (sans commentaire), je reste persuadée qu’un technicien sera beaucoup plus performant s’il connaît l’histoire de la famille pour laquelle il travaille que s’il connaît seulement son numéro d’ADN.

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?

Ce sont les mêmes. Je dépense beaucoup d’énergie dans ma vie professionnelle. J’ai la chance d’avoir des mitochondries qui fonctionnent plutôt bien mais c’est ma vie privée et ma famille qui sont ma principale source d’énergie. Encore aujourd’hui, beaucoup de jeunes femmes s’autocensurent en étant persuadées devoir faire un choix entre vie personnelle et professionnelle. Les choses ne sont pas forcément simples, mais chaque matin, surtout quand on a la chance d’être en bonne santé, c’est avant tout une question d’envie, de volonté et de travail.

Une personne inspirante pour vous ? 

Il y en a énormément : Marie Curie surtout pour son anticonformisme et sa volonté farouche d’avoir droit à une vie privée, Simone Veil pour la démonstration de sa résilience à travers sa vision européenne, François Cuzin dont je dis souvent qu’il m’a appris à réfléchir, Jean François Mattéi pour la clairvoyance de son analyse bénéfice/risque en bioéthique, reflétée par des lois qui protègent encore de certaines dérives. Celles aussi que j’appelle les « héroïnes du quotidien » qui n’ont pas forcément la chance de faire un métier qu’elles ont choisi mais qui le font le mieux possible, avec le sourire et en étant attentives aux autres… comme ma mère.


Serena VILLATA

 « Montrer comment l’informatique peut contribuer à résoudre des problèmes sociétaux tels que la haine en ligne, la désinformation ou la propagande.»


Qui êtes-vous ?

Je suis chercheuse en informatique au CNRS. Plus précisément, je suis directrice de recherche dans l’équipe Wimmics du Laboratoire d'Informatique, Signaux et Systèmes de Sophia Antipolis (I3S). Mon domaine de recherche est le traitement automatique du langage naturel.

Qu’est-ce que "faire bouger les lignes pour vous" ?

Pour moi, « faire bouger les lignes » signifie choisir des lignes de recherche qui ont un impact sur la société, afin de montrer comment l’informatique peut contribuer à résoudre des problèmes sociétaux tels que la haine en ligne, la désinformation ou la propagande. 

Quelles sont vos forces ?

Je crois pouvoir dire que mes points forts sont ma ténacité (je suis convaincue que tout problème scientifique a une solution), ma passion infinie pour mon travail et ma capacité à imaginer des solutions faisant appel à plusieurs disciplines, allant des sciences “dures” aux sciences sociales. 

Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?

Le fait le plus marquant qui a fait évoluer ma carrière a été certainement l’obtention du Prix Jeune Chercheuse de l’académie des Sciences. Cette reconnaissance m'a permis de donner plus de visibilité à mes recherches et d'ouvrir de nouvelles collaborations et pistes de recherche. 

 Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?

Lorsque j'ai rejoint l'équipe, nous étions deux jeunes chercheuses à la recherche d'un poste permanent dans la recherche. Nous travaillions sur des sujets similaires, nous avions le même âge, nous voulions rester dans la même équipe, et les circonstances ont souvent essayé de nous monter l'une contre l'autre. Mais nous étions amies et au lieu de nous battre, nous avons commencé à collaborer, nous nous sommes aidées mutuellement tout le temps. Et nous avons passé le concours la même année, et nous avons été promus la même année. Et maintenant, nous sommes en train de mettre en place une nouvelle équipe de recherche.

Quels sont vos projets ?

Mes projets sont multiples. D’une part, je travaille sur l’analyse des textes politiques pour extraire les arguments et souligner les incohérences et les arguments propagandistes. Je travaille aussi sur la détection de la haine et de la désinformation en ligne, et notamment sur la génération d’un contre-discours pour développer l’esprit critique des utilisateurs et utilisatrices. Je suis aussi très impliquée dans différents comités institutionnels pour étudier les enjeux d’éthique de l’IA. 

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?

La valeur du travail est très importante pour moi, pour montrer à mes enfants l'importance de faire un travail que l'on aime, qui nous passionne. Ensuite, il est important pour moi de montrer que tout le monde peut arriver à ses fins, il suffit d'y croire ! Enfin, ma famille reste le centre de ma vie, que je complète avec joie par mon travail de recherche.

Une personne inspirante pour vous ? 

J'ai été très inspirée par Rose Dieng. J'ai rejoint son groupe de recherche en tant que post-doctorante peu après sa mort et j'ai eu le privilège de bénéficier de son héritage qui a continué à caractériser son équipe. Une femme forte, une scientifique passionnée et talentueuse, un exemple impressionnant d'ouverture d'esprit : voilà ce que Rose représente pour moi. Je lui suis reconnaissante de cet enseignement et j'espère que je saurai moi aussi mettre ces valeurs en pratique dans ma vie professionnelle et personnelle. 

Pinar SELEK

« Je suis une scientifique qui veut comprendre les mécanismes invisibles qui façonnent notre monde. »


Qui êtes-vous ?

Comme tout le monde, je suis plein de choses : une scientifique qui veut comprendre les mécanismes invisibles qui façonnent notre monde, une artiste qui veut créer l’impossible, une sorcière qui défend la magie de la vie et oui, une militante de poésie.

Qu’est-ce que signifie pour vous « faire bouger les lignes » ?   

Quand j’étais en Turquie, travailler sur les questions kurde et arménienne, par exemple, m’a fait comprendre que je franchissais une ligne rouge. Mais j’aime les lignes rouges. Elles te montrent que tu es sur le bon chemin. Et quand tu continues, la vie change, les liens se tissent, les interactions complexes modifient l’ordre du pouvoir…il faut continuer, continuer…

Quelles sont vos forces ?

Ma force vient de l’amour, de la solidarité et des expériences des autres ainsi que les analyses philosophiques qui m’entourent à l’instar des lucioles. Par exemple celui de Gramsci qui disait : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté. » Ma volonté a besoin d’être entretenue, nourrie, prise à bras-le-corps. C’est pourquoi, dans les moments où la tristesse me submerge et où je désespère du genre humain, les paroles de Gramsci me viennent aux lèvres comme des chuchotements enchanteurs. Je vois la joie de la lutte contre la sauvagerie.

Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?

Je me fortifie en côtoyant le pessimisme. Je suis désormais plus forte qu’à l’adolescence. J’ai appris que le monde ne peut changer en deux jours. Les échecs, les errements, les recommencements ne m’accablent plus. Je ne me croise pas les bras en me demandant pourquoi certaines choses ne changent pas. Je prends ma part d’amour et d’étreintes.

Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?

Quand on m’a forcée par la torture de révéler les noms de mes enquèté.es, je n’étais pas sûre si je pouvais résister. Chaque seconde je me suis dit : « encore un peu… attend encore, encore une seconde, trois seconde, cinq seconde…» enfin j’ai réussi à défendre jusqu’au bout la liberté de la recherche et l’autonomie de la science…

Quels sont vos projets ?

Approfondir mes analyses et mes expressions artistiques qui pourraient me guider dans la création d’un monde dans lequel nous serions fières et fiers d’habiter. Et pouvoir réussir à réfléchir et à créer malgré la violence extrême. C’est possible, si on parvient à conserver sa faculté de juger et de prendre l’initiative. Il faut essayer, essayer encore.

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?

Mes valeurs sont pareilles dans toute ma vie : justice, liberté, soin…

Une personne inspirante pour vous ? 

J’ai plus que mille personnes qui m’inspirent dont Voltairine de Cleyre.

Chiara FERRARI

« Ne pas craindre de faire des choix qui peuvent paraitre difficile. »

Qui êtes-vous ?

Je suis Astronome à l’Observatoire de la Côte d’Azur (OCA). Après une thèse de doctorat à Nice et un post-doctorat en Autriche, en 2008 j’ai eu un poste permanent à l’OCA et j’ai commencé à impulser le développement de la radio astronomie basée sur l’observation d’ondes électromagnétiques de très basse fréquence en provenance du cosmos sur notre site. Aujourd’hui, je dirige SKA-France, en pilotant la participation de la France au SKA Observatory (SKAO) – l’Organisation Intergouvernementale en charge de la construction des plus grands radiotélescopes au monde – avec un groupe croissant de chercheurs et ingénieurs azuréens qui travaillent désormais sur ce projet.

La participation à un tel grand projet m’a aussi fait acquérir des compétences qui me permettent de participer à des activités structurantes de notre environnement de recherche. En ce moment, je suis Directrice Scientifique de l’IdEx d’Université Côte d'Azur et Déléguée Scientifique au CNRS/INSU.

Qu’est-ce que signifie pour vous « faire bouger les lignes » ?   

Ne pas craindre de faire des choix qui peuvent paraître difficiles ou pas alignés avec la façon dont la plupart des personnes autour de nous pensent être la seule façon d’avancer. Et, quand on a fait ces choix, les défendre avec honnêteté intellectuelle, beaucoup de travail et de passion, pas mal de sacrifice (mais sans oublier de garder le sourire !)

Quelles sont vos forces ?

J’utilise une description de moi que mes maitresses ont donné à ma mère quand j’avais 6 ans : « Chiara est de l’acier recouvert de sucre ». En effet, je pense que cette combinaison de détermination et de douceur dans mon caractère est une force qui m’a permis de faire face aux défis dans ma carrière, sans me cacher, pas sans difficultés, mais en sentant le support humain de mes collaborateurs et collaboratrices, ce qui est essentiel pour moi.

Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?

La nomination en tant que Directrice de SKA-France, en 2016, par le CNRS/INSU en accord avec les principaux partenaires académiques intéressés par le projet SKA en France. Les personnes qui m’ont nommée ont cru en ma capacité à mener à bien cette aventure, et je ne les remercierai jamais assez. Cela m’a permis de ne pas me faire coincer dans mon développement professionnel et humain par tous mes doutes sur mes capacités. J’ai encore ces doutes, et ils seront là pour toujours en bonne partie, mais désormais je sais que cela ne doit pas m’empêcher d’essayer.

Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?

J’ai souvent dû lancer des nouveaux projets ou essayer de développer des recherches sur des thématiques novatrices dans mon environnement de travail, en étant parfois isolée dans les phases initiales et en rencontrant pas mal d’inertie dans le système. Pour cela, j’ai toujours essayé de me créer un réseau de collaborateurs, du niveau local au niveau international, de discuter et de créer un esprit d’équipe capable de transformer des idées initiales en réalité.

Quels sont vos projets ?

Aujourd’hui, mon principal projet de recherche est le SKA Observatory, dont la construction a été lancée en 2021 et se terminera avant la fin de la décennie, avec les premiers résultats scientifiques attendus autour de 2026. SKAO conduira à des avancées scientifiques majeures dans de vastes domaines de l’astrophysique, de la cosmologie et de la physique fondamentale, représentant toutefois un défi technologique considérable, entre autres à cause de l’énorme masse de données à traiter que ses deux télescopes (l’un en Afrique du Sud et l’autre en Australie) vont produire. La mise en opération de SKAO représente un immense et passionnant « chantier de recherche », qui nécessite un grand effort de la communauté internationale du point de vue astrophysique, méthodologique et technologique. La participation française au projet c’est fortement développée dans les dernières années sous l’impulsion des activités de SKA-France, ce qui a impliqué, de mon côté, un enrichissement et un investissement très importants en terme d’implication et connaissances scientifiques.

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?

La clarté et l’honnêteté, ainsi que l’envie d’utiliser au mieux mes propres capacités pour contribuer dans la mesure du possible à améliorer notre société. Il y a une phrase d’une chanson italienne de Francesco De Gregori, qui, au-delà de la métaphore du football, décrit bien tout cela :

« Ma Nino non aver paura di sbagliare un calcio di rigore Non è mica da questi particolari Che si giudica un giocatore Un giocatore lo vedi dal coraggio Dall'altruismo e dalla fantasia »

« Mais Nino n'a pas peur de rater un tir au but. Ce n'est pas sur ces détails. Que l'on juge un joueur On voit un joueur à son courage Par son abnégation et son inventivité»

Ces valeurs je les ai toujours en tête, dans ma vie personnelle, mais aussi dans ma vie professionnelle.

Une personne inspirante pour vous ? 

Mes parents, parce que, au travers de leur exemple, ils m’ont montré l’importance que le cœur et le cerveau aillent toujours de pair dans la vie. Cela m’a permis d’apprendre à être libre, en faisant des choix basés sur ce que je sens être juste pour moi.

À la fin du lycée, par exemple, beaucoup de personnes me conseillaient de ne pas me lancer dans des études en astrophysique, car c’était à leur avis difficile de trouver un emploi après. Mes parents m’avaient dit : "Tu es assez bonne pour trouver des solutions, alors suis tes rêves. Si ça marche, ça marche. Et si ça ne marche pas, tu trouveras une autre voie !". Quand je suis fatiguée, je pense à cela et ces mots sont encore capables de me motiver beaucoup.

Isabelle THERY

« Avoir la conviction que la science n’atteint jamais un état d’équilibre et qu’elle est toujours en mouvement. »

Qui êtes-vous ?

Directrice de recherche au CNRS, je suis archéobotaniste, c’est-à-dire une spécialiste des forêts du passé et des usages du bois comme matériau et comme combustible. Mes recherches portent sur l’étude des sociétés du Paléolithique, entre 125 000 et 20 000 ans avant le présent , sur un vaste territoire, depuis l’Europe jusqu’à l’Afrique en passant par l’Asie. Je m’intéresse à l’impact des changements climatiques sur les dynamiques forestières; au rôle du feu dans l’évolution biologique et technique des sociétés ; à l’interaction entre les changements environnementaux et les transformations des sociétés humaines du Paléolithique. Mes travaux, souvent interdisciplinaires, combinent les méthodes de l’archéologie, de la botanique, de la physique, de la chimie et de la mécanique et plus récemment de l’Intelligence Artificielle.

Actuellement, je dirige le CEPAM, un laboratoire de recherche d'Université Côte d’Azur et du CNRS qui étudie sur la longue durée les trajectoires des sociétés et leurs interactions avec l’environnement.  Je suis fière, non pas d’en être la directrice, mais que la recherche fondamentale sans visée lucrative trouve encore sa place dans notre société. Ne serait-ce pas une terrible régression qu’une société ne s’intéresse plus qu’aux retombées économiques de la science et se désintéresse de la quête de connaissances non finalisée afin de mieux comprendre le monde qui nous entoure ? A travers ce portrait, je souhaite rendre hommage à tous mes collègues qui œuvrent quotidiennement pour rendre possible cette recherche et qui partagent les mêmes valeurs d’engagement pour le service public.

Qu’est-ce que signifie pour vous « faire bouger les lignes » ? 

Je n’avais jamais vraiment réfléchi à cette question auparavant. C’est peut-être ne jamais se contenter de ce qui est acquis, avoir la conviction que les idées, la science, n’atteignent jamais un état d’équilibre et qu’elle est toujours en mouvement vers la découverte de nouveaux horizons, de nouvelles connaissances. Cela  sous-tend probablement une forme d’optimisme, une croyance en la possibilité de faire toujours mieux.

Quelles sont vos forces ?

Dans ma vie personnelle, j’essaie de ne pas confondre les vrais problèmes et les petits aléas de la vie. Cela m’évite de prendre trop à cœur des événements qui sont sans réelle gravité. Dans le cadre de mon métier, le changement ne me fait pas peur, j’adore réfléchir à de nouvelles possibilités d’aborder les questions scientifiques, mais aussi l’organisation de la recherche et de ses structures. Les défis me stimulent en général. Je pense aussi être curieuse des autres disciplines et de ce qu’elles peuvent apporter à mon domaine.

Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?

Après un double cursus en Histoire et en Archéologie, j’ai réalisé mon master 2 (DEA à l’époque) dans un laboratoire de mécanique du bois (le LMGC à Montpellier). J’ai été formée à la recherche par de grands scientifiques, des gens extraordinaires, d’une très grande modestie et d’une très grande ouverture d’esprit, qui se sont intéressés à mes questions en Archéologie, pourtant sans rapport avec les leurs. Je pense que c’est là que j’ai acquis la certitude qu’on pouvait être un bon chercheur et avoir de l’humilité, et que j’ai découvert l’incroyable richesse des autres champs de recherche et de leurs potentiels pour mon propre domaine. Baignée dans ce milieu à la fois très professionnel et bienveillant, j’ai pour la première fois pu envisager d’avoir les capacités de faire de la recherche mon métier.  

Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?

A la naissance de mon troisième enfant, un collègue m’a déclaré «  si on avait su que tu aurais autant d’enfant, on ne t’aurait jamais recrutée ». Outre la grossièreté incroyable du propos, j’ai été sidérée par cette remarque. Cette injonction passive à être à la hauteur « malgré » la maternité, m’a entrainée dans une spirale de l’épuisement. Pour la première fois je touchais du doigt la difficulté d’être une femme dans la sphère professionnelle. Je ne crois pas avoir surmonté cet obstacle, en revanche j’ai acquis la conviction qu’il reste beaucoup à faire pour faire évoluer les mentalités afin que les femmes, mais aussi les hommes, qui souhaitent travailler ET avoir des enfants puissent le faire dans les meilleures conditions.

Quels sont vos projets?

Je viens d’obtenir un financement pour le développement de l’Intelligence artificielle pour l’identification du bois à l’échelle de la structure anatomique, qui est à la base de mon métier d’archéobotaniste. Ce projet me tient à cœur d’abord pour son caractère nouveau, impliquant des collaborations inédites avec des spécialistes des mathématiques appliquées et de l’IA, mais aussi parce qu’il repose sur la Science participative. Tous les collègues experts qui disposent d’images anatomiques de bois sont impliqués dans le projet. J’aime cette idée de faire de la recherche différemment,  en collaborant avec des collègues de très nombreux laboratoires plutôt qu’en développant des projets chacun dans son coin. J’ai le sentiment de contribuer à contourner un système que j’aime de moins en moins, basé sur la performance personnelle, alors que la recherche est toujours une question de collaborations, d’interactions, d’enrichissement mutuel.

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?     

J’ai des opinions politiques affirmées. Je n’hésite pas à me battre pour défendre mes idées même si je ne le fais pas assez. Aujourd’hui, je souhaite m’engager dans plusieurs combats : le féminisme, l’égalité des chances et la transition écologique. Selon moi, les femmes de ma génération, moi la première, ont laissé perdurer une situation inacceptable d’inégalité entre les hommes et les femmes, de violences sexistes et sexuelles auxquelles il est urgent de remédier. Les politiques sociales en matière d’égalité sont seules à même de faire changer les choses, mais encore faut-il que cette volonté politique existe, et qu’elle soit aussi portée par des hommes. Tant que la lutte pour l’égalité et contre les violences reste une « question de femmes », il sera difficile de faire évoluer les situations. Car après tout , la majorité des hommes de notre entourage ne se reconnaissent pas dans ces violences faites aux femmes. Il est temps que ces hommes fassent entendre leur voix.

Un autre combat qui me semble des plus urgents est celui d’un « retour » à l’égalité des chances. Aujourd’hui, l’école est devenue un facteur d’aggravation des inégalités sociales, c’est à la fois inacceptable et potentiellement un très mauvais choix politique. En excluant une partie de la société, en lui refusant l’accès à l’éducation, on perd beaucoup de jeunes très compétents, tout en construisant les crises de demain. A ce titre, je suis heureuse de travailler à l’Université car elle reste un moyen d’accès à la connaissance et aux études supérieures pour des jeunes issus de milieux défavorisés. Toutes les actions de diffusion de la culture scientifique dans les écoles contribuent à faire connaitre cette possibilité. Mais ce n’est pas suffisant, pourquoi ne pas réfléchir à des passerelles vers l’université pour des jeunes en difficulté scolaire. Il reste beaucoup de choses à inventer.

Enfin, à travers mon métier, j’ai une bonne connaissance de l’impact des changements climatiques sur les sociétés, et les crises auxquels ils conduisent immanquablement. J’aimerais que les scientifiques pèsent enfin dans les politiques publiques en matière d’écologie, mais également de santé publique pour accélérer cette transition.

Une personne inspirante pour vous ? 

Beaucoup de personnes sont inspirantes pour moi. Ce ne pas forcement des personnalités connues. Beaucoup de mes proches, ma mère, mes enfants, mon compagnon. Toutes les personnes qui vivent des situations difficiles et qui gardent le sourire. Ne pas faire peser sur les autres ses propres difficultés, avoir cette capacité, je trouve cela admirable. Plus généralement j’ai de l’admiration pour toutes celles et tous ceux qui se battent pour défendre leurs idées au péril de leur vie. Nelson Mandela, évidemment. Aujourd’hui, les femmes iraniennes qui défient le pouvoir pour retrouver leur liberté ont un courage incroyable. J’aimerais avoir leur courage.