Ces femmes qui font bouger les lignes

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Edito

In most languages, writing is a complement to speech or spoken language. Writing is not a language but a form of technology. Within a language system, writing relies on many of the same structures as speech, such as vocabulary, grammar and semantics, with the added dependency of a system of signs or symbols, usually in the form of a formal alphabet. The result of writing is generally called text, and the recipient of text is called a reader. Motivations for writing include publication, storytelling, correspondence and diary. Writing has been instrumental in keeping history, dissemination of knowledge through the media and the formation of legal systems.

Patricia REYNAUD-BOURRET

« Les femmes ne font souvent pas « crédibles » et sont moins écoutées que si elles étaient des « ils ». »

Qui êtes-vous ? 

Je suis chercheuse au CNRS au laboratoire de mathématiques (LJAD). J’ai commencé par faire des statistiques théoriques et des probabilités. En arrivant à Nice, des personnes formidables m’ont fait découvrir les neurosciences, et je suis tombée sous le charme. Maintenant, nous avons créé l’Institut NeuroMod sur la modélisation en neuroscience et en cognition, dont je suis la directrice.

Qu’est-ce que faire bouger les lignes pour vous ?  

En anglais, on dit souvent  "thinking outside the box" (Sortir des sentiers battus), pour dire être innovant. Ce n'est pas la seule voie, ni forcément à tous les coups, la meilleure, pour faire de la recherche, mais ce qui est sûr c'est que penser en dehors de sa propre discipline à un petit côté "risqué". On se met en danger, on peut être incompris par sa propre discipline et les disciplines avec qui ont veut discuter. Alors, pour moi, faire bouger les lignes, c'est surtout faire accepter que la belle recherche n'est pas forcément que mono-disciplinaire et que l'inspiration peut venir de disciplines très éloignées, que le risque qu'on prend à essayer de comprendre ce qui se passe ailleurs vaut la peine d'être pris. C'est très enthousiasmant de voir que d'autres disciplines peuvent avoir besoin de nos connaissances et réciproquement.

Quelle est votre principale force ? 

J’adore apprendre, de pleins de gens différents, pleins de notions différentes et pas seulement en maths. Je suis très curieuse alors des questions m’interpellent et je me dis que peut-être en faisant se rencontrer des gens, des thématiques, des concepts, on peut apporter une petite pierre à l’édifice. La recherche, pour moi, c’est surtout des rencontres, de gens et cela ne marche pas sans l’aspect humain.


Pourriez-vous nous raconter un fait inspirant de votre carrière ? 

Peut-être que le fait le plus marquant dans mon parcours, a été mon déménagement à Nice. Ici, on se sent un plus libre d’être « exotique », on est moins forcé d’être dans une case. Comme l’université est à taille humaine, on rencontre facilement des personnes de nombreuses disciplines. On peut proposer des idées un peu dingues sans être jugé.

Pourriez-vous nous raconter un obstacle et comment l’avez-vous surmonté ?

Quand j’ai commencé, j’étais très jeune (j’ai eu ma thèse à 24 ans) et je suis une femme… Alors, ça ne faisait manifestement pas très sérieux. A une conférence que j’avais organisée avec un collègue masculin, je faisais aussi les petites « tâches » du genre emmener les invités chez les administratifs pour faire la paperasse. Et un jour, après avoir écouté une conférence, un chercheur, que j’avais accompagné, est venu me voir en me disant plus ou moins que je poussais le dévouement un peu loin et qu’en tant que secrétaire, je n’étais peut-être pas obligée de venir écouter les conférences. On a continué pendant très longtemps à me prendre pour la secrétaire, la thésarde ou la post-doc. Plus tard dans ma carrière, alors que je venais aux conférences internationales sans mes enfants, un autre chercheur m’a sérieusement demandé comment je pouvais faire si bien des maths alors que j’avais des enfants. Quelques années plus tard, ce même chercheur a déclaré que si j’y arrivais, c’était peut-être parce que j’étais une métisse : il fallait une explication quand même, ce n’était pas normal.  Il pensait vraiment me faire un compliment ! Depuis, il s’est marié à une femme chercheuse et a bien évolué. Ce sont des anecdotes, mais c’est révélateur d’un climat qui est en train de changer, sur le fait que les femmes ne font souvent pas « crédibles » et sont moins écoutées que si elles étaient des « ils ». Personnellement, je me suis blindée et j’ai essayé de m’entourer de personnes qui ne sont pas comme ça et qui respectent ma parole sans voir en premier que je suis une femme (de couleur ;-). Et ce qui est super, c’est qu’il y a de plus en plus de personnes comme cela. La révolution est en marche.

Quels sont vos projets ?

Mes projets sont résolument interdisciplinaires. En particulier, je m’intéresse de très près à l’apprentissage avec des collègues mathématiciens, informaticiens, biologistes, psychologues et les nombreux doctorants interdisciplinaires que nous avons. Je m’investis aussi beaucoup dans la formation interdisciplinaire de Masters dans NeuroMod. La recherche a besoin de la formation pour ne pas s’asphyxier. La nouvelle génération d’étudiants interdisciplinaires pourra peut-être voir des passages, là où les habitudes disciplinaires peuvent freiner.  C’est complémentaire de formations disciplinaires de pointe (comme celle que j’ai reçue), qui permettent de casser certains murs théoriques ou pratiques. C’est la combinaison des deux types de formation qui pourra, je l’espère, faire avancer la science.

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ? 

En général, je suis quelqu’un d’assez altruiste. Je suis sincèrement convaincue que les êtres humains sont liés et que c’est dans ces liens, que la force de l’humanité réside.

Une personne inspirante pour vous ?

C’est dur de trouver une seule personne inspirante, il y en a eu beaucoup. Mais disons que depuis que je suis à Nice, il y a une personne en particulier qui m’a ouvert les yeux : Sylvie Mellet. Lorsque je suis passée DR et que j’ai pris la tête de l’axe interdisciplinaire, Sylvie était Vice-Président Recherche de l’UNS. J’étais encore empêtrée dans les jugements que les autres avaient sur moi, ma confiance en moi n’était pas au plus haut. Je me retrouvais à un poste où je devais diriger/orienter ce que d’autres chercheurs, qui me paraissaient éminemment plus doués que moi, voulaient. Sylvie m’a secoué et m’a demandé de m’affirmer, et cela venait d’une femme, et quelle femme ! Son parcours est incroyable : professeur en collège de banlieue, devenue chercheur CNRS en linguistique (et avec une médaille du CNRS !!!), vice-présidente Recherche de l’université qui savait écouter mais aussi arbitrer même les sciences dures alors qu’elle venait des sciences humaines. Elle a su mettre ses compétences au service de l’université sans jamais trouver qu’une tâche (si administrative soit elle) n’est dévalorisante, du moment que les chercheurs en avaient besoin, et cela sans jamais y perdre son autorité ou sa crédibilité. Elle a bien mérité de profiter de sa retraite qu’elle a prise en septembre, mais elle va nous manquer !

Barbara Meazzi

« La persévérance est fortement liée à la ténacité, à la résistance, mais aussi au fait de savoir reconnaître ses limites, avec humilité. »

Qui êtes-vous ? 

Barbara Meazzi, née à Turin le 20 octobre 1965 à 23h45. J'ai vécu à Turin jusqu'à mes 21 ans, puis je suis partie (avant qu'Erasmus n'existe, cela ne me rajeunit pas!) à Chambéry, pour entreprendre un parcours binational franco-italien en lettres. C’est là que je suis tombée dans l'étude des avant-gardes: je ne m'en suis toujours pas remise. J'ai eu un poste de maître de conférences à l'Université Savoie Mont Blanc; j’ai passé mon habilitation à diriger la recherche en 2012, et en 2013 j'ai eu le poste de professeur à Nice. Un itinéraire très "Royaume de Piémont-Sardaigne"....

 Pourriez-vous nous raconter un fait inspirant de votre carrière ? 

Le premier voyage que j'ai fait toute seule en Argentine lors de mon premier CRCT : j'ai compris que les pistes que je suivais pour mes recherches n'étaient pas les bonnes, et j'ai fait par ailleurs des rencontres qui m'ont profondément marquées.

Pourriez-vous nous raconter un obstacle et comment l’avez-vous surmonté ? 

Ça c'est mon quotidien... tous les jours je rencontre un (voire plusieurs) obstacle(s) ! Il faut prendre le temps de réfléchir, discuter, prendre du recul et, quand ce n'est pas insurmontable, ça passe.


Qu’est-ce que faire bouger les lignes pour vous ?  

La persévérance. Je suis allée vérifier l'étymologie du substantif: «continuité d'un état de chose», «qualité morale qui consiste à poursuivre une tâche», «qualité de celui qui demeure ferme dans une résolution» (je cite depuis le Trésor de la langue française). Je pense que, notamment dans le travail d'une chercheuse, la résistance dans le temps est fondamentale. J'ai une idée, une hypothèse et je cherche tant que je ne trouve pas de réponse. Ou alors, si j'ai un projet, je le mène à bout (et à bien, si possible!), même s'il faut des années. La persévérance est fortement liée à la ténacité, à la résistance, mais aussi au fait de savoir reconnaître ses limites, avec humilité.

Quelle est votre principale force ? 

Je pinaille, sans doute, mais il est curieux de demander à une femme de se définir par rapport à une "force" (et les muscles, alors?), cela fait tout de suite penser aussi à "faiblesses". Quoi qu'il en soit, ma force principale, je crois, est l'optimisme. Je suis née optimiste, curieuse et (auto)ironique.

Quels sont vos projets ? 

Je vais terminer la réalisation du projet HyperMarinetti, qui m'a valu d'être boursière du Programme de Recherches Avancées il y a deux ans. J'ai dû modifier un peu les objectifs, chercher de nouvelles collaborations, mais si tout va bien - malgré le Covid - je serai en mesure de produire des résultats concluants pour la fin de l'année. 
Je suis également impliquée dans un chantier "étude des écritures féminines", avec les collègues du groupe de recherche ExFem, soutenu par l'Académie 5.  J'ai pour ma part commencé à travailler sur des revues féministes du début du XXe siècle. On pourrait penser que je m'éloigne des avant-gardes et des futuristes, mais en réalité le domaine de recherche est assez proche, ne serait-ce que d'un point de vue chronologique, mais il arrive que certains parcours se croisent. 

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ? 

La loyauté, la solidarité, (mais dans la vie professionnelle, c'est un peu la même chose).

Une personne inspirante pour vous ? 

Cela dépend du temps et de l'espace : si je n'avais pas lu, à 10-11 ans, l'histoire de Jo March dans Little Women de Louisa M. Alcott, je n'en serais pas là. J'ai été profondément marquée, assez récemment, par la personnalité de Teresa Noce (1900-1980), une militante communiste italienne qui a eu une vie incroyable, au service de l'antifascisme ; puis il y a Xavière Gauthier, la fondatrice de Sorcières, les femmes vivent, une femme extraordinaire d'intelligence, opiniâtreté et ironie (que nous avons invitée à Nice dans le cadre du projet ExFem).  Ou encore, Tina Merlin (1926-1991), résistante communiste, journaliste. Des femmes qui se battent avec intelligence, persévérance et courage.


Ellen VAN OBBERGHEN-SCHILLING

"J'ai eu l'énorme chance de rencontrer, tout au long de mon parcours des scientifiques exceptionnels, femmes et hommes, qui ont été une vraie source d’inspiration..."


Qui êtes-vous ?

Directrice de Recherche à l’Inserm, responsable d’une équipe à l’Institut de Biologie Valrose, dirigé par Stéphane Noselli, et bénéficiaire d’une Chaire 3IA Côte d’Azur.


Je suis originaire de Bethesda, ville de la métropole de Washington D.C. qui abrite les Instituts Nationaux de la Santé (NIH). J’ai fait mes premiers pas en recherche dans un laboratoire du centre hospitalier (Clinical Center) des NIH où j’ai eu la chance à la fois, de participer à des travaux essentiels dans le domaine des facteurs de croissance, et de rencontrer un médecin-chercheur, Manu Van Obberghen, ayant la même passion pour la recherche biomédicale que moi et qui j’ai épousé. Après avoir obtenu une licence en Biologie (B.S.) à l’Université de Purdue, j’ai continué mes études à Université Côte d'Azur où nous nous sommes installés. J’ai soutenu ma Thèse d’Etat sous la direction de Jacques Pouysségur sur le contrôle de la prolifération cellulaire. Ensuite, j’ai effectué un stage postdoctoral à l’Institut National du Cancer des NIH avec Michael Sporn et Anita Roberts sur les « Transforming Growth Factors » (TGFs). De retour à Nice, j’ai monté une équipe dans le domaine du cancer, domaine que je n’ai plus quitté depuis. Ainsi nos travaux actuels sont centrés sur l’étude du microenvironnement des tumeurs, et en particulier sur la matrice extracellulaire, un échafaudage de protéines bioactives qui joue un rôle primordial dans la progression des cancers et dans leur capacité à résister aux traitements.

Qu’est-ce que faire bouger les lignes pour vous ?

Cela consiste à donner à toute personne talentueuse et motivée la possibilité de transformer ses rêves en réalité, peu importe les difficultés rencontrées et le temps nécessaire.

Quelle est votre principale force?

Depuis mon jeune âge, je suis passionnée par la recherche scientifique. Cette passion est un prérequis pour poursuivre une carrière de chercheuse. La route est longue, et il faut une grande capacité de travail, beaucoup de persévérance et un peu de chance. Mais quelle satisfaction, quand au prix d’énormes efforts on réussit à dévoiler ne serait-ce qu’un petit pan d’une question biologique restée jusqu’à présent un mystère. La joie est aussi grande lorsque on réussit à transmettre notre passion de la recherche. C’est en effet avec un plaisir particulier que je vois régulièrement des doctorants et post-doctorants quitter mon équipe avec un bagage scientifique et une expertise reconnue qui leurs permettront à leur tour de vivre pleinement leur passion. Malgré la grande satisfaction que j’ai eue et continue à avoir en tant que chercheuse et responsable d’équipe, tous les jours ne sont pas ensoleillés. Dans les moments difficiles, être entourée de ma famille et de mes amis me donne immanquablement la force de persévérer. Enfin, j’ai eu l’énorme chance de rencontrer, tout au long de mon parcours des scientifiques exceptionnels, femmes et hommes, qui non seulement ont été une vraie source d’inspiration, mais aussi qui m’ont accordé leur confiance et m’ont soutenu par leurs conseils et leur amitié. Un des grands plaisirs et privilèges du métier de chercheur est de pouvoir compter sur des amis repartis dans le monde entier, et que l’on retrouve au fil de congrès et réunions.

Parmi les conseils que l’on pourrait donner aux jeunes scientifiques 2 me paraissent essentiels : celui de s’entourer de penseurs et d’optimistes, ainsi que de faire partie de groupes d’échanges scientifiques, véritable terreau de notre réflexion intellectuelle et de collaborations. Enfin, j’ajouterai qu’à mes yeux 2 qualités, la générosité et l’attention aux autres, bien que perçues par certains comme des faiblesses, favorisent la productivité et le succès des chercheurs mais aussi des équipes et des instituts.

Pourriez-vous nous raconter un fait inspirant de votre carrière ?

Sur la porte face à mon premier laboratoire de stage d’étudiante aux NIH, il y avait une plaque dorée avec l’inscription « Dans ces lieux Marshall Nirenberg, Prix Nobel de Physiologie ou Médecine 1968, a déchiffré le premier des 64 codons du code génétique ». Cet hommage à une découverte révolutionnaire se trouvait à quelques pas du couloir abritant des chambres de patients. Cette « proximité » entre la science et la médecine m’a profondément marquée et forgée à jamais mon désir de faire de la recherche ayant une relevance clinique. Dans le temple de la recherche hors-pair du NIH, on croisait quotidiennement des savants légendaires. Le fait de manger à la même cafétéria que ces illustres scientifiques me rappelait que c’étaient des « humains » comme moi, et pour des courts instants je rêvais…. Pour la « petite » histoire, j’ai appris à faire des anticorps monoclonaux dans l’équipe du déjà cité Nirenberg. Un jour, un jeune chercheur allemand nous a rendu visite pour partager son savoir-faire et nous aider. Quelques années plus tard, ce chercheur qui s’appelait Georges Köhler a reçu le Prix Nobel en Physiologie ou Médecine pour la découverte du principe de la production d’anticorps monoclonaux.

Pourriez-vous nous raconter un obstacle et comment l’avez-vous surmonté ?

Le cancer ne correspond pas à une seule maladie, mais à plusieurs. Pour mieux comprendre la biologie des multiples cancers, voire des différents sous-types d’un même cancer, il est essentiel d’étudier la maladie dans son environnement tissulaire « naturel », ce qui présentait jusqu’à peu un défi important. J’y suis parvenue en établissant des collaborations cruciales avec plusieurs partenaires cliniques (pathologistes, chirurgiens, oncologues). En effet, pendant les 12 années où mon équipe était au Centre Antoine Lacassagne, j’ai construit ces interactions cliniciens-chercheurs propices au succès du projet. Bien évidemment, ce réseau avec les cliniciens a été maintenu et même enrichi depuis notre retour sur Valrose. Grâce à la conjonction de ma forte volonté de travailler sur le cancer chez l’homme et la conviction des cliniciens de l’intérêt de la recherche fondamentale, nous avons franchi cette entrave initiale, et ainsi fait un bond en avant dans nos recherches.

Quels sont vos projets ?

Nous vivons une période passionnante pour la recherche sur le cancer et son traitement. En effet, pour la plupart des cancers le traitement des malades s’est considérablement amélioré grâce en partie à de nombreux progrès dans notre compréhension de la maladie. Ceci est rendu possible par des avancées technologiques majeures et des collaborations interdisciplinaires. Pour nos travaux sur les cancers ORL, nous appliquons ce même principe basé sur des technologies de pointe et des experts reconnus en des domaines complémentaires (biologistes, immunologistes, mathématiciens, pathologistes, oncologues). Ainsi, nous développons l’analyse du tissu tumoral par imagerie multiparamétrique, qui permet de visualiser et quantifier l’architecture du microenvironnement tumoral et les multiples interactions cellulaires y ayant lieu. Par cette démarche, nous voulons approfondir nos connaissances biologiques et identifier des signatures pronostiques ou prédictifs d’une réponse à l’immunothérapie, traitement très prometteur pour ces cancers. Mon enthousiasme pour la recherche n’a pas changé depuis mes premières expériences aux NIH. Je continue sans relâche à faire de mon mieux pour participer à la lutte contre le cancer, tout en réalisant quotidiennement que j’exerce un magnifique métier.  

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ? 

Le respect envers les autres, l’optimisme et la persévérance dans la vie de tous les jours et la vie professionnelle. J’apprécie aussi les gens ayant un bon sens de l’humour.

Une personne inspirante pour vous ?

Anita Roberts, ma co-mentore post-doctorale, a été dès le début de notre rencontre et le sera toujours une personne inspirante. Dans le domaine des Sciences de la Vie Anita Roberts et Michael Sporn ont été les premiers à purifier le TGF-béta et de cloner son gène grâce à des collaborations pionnières entre les NIH et le secteur privé (Genentech). Guidés par leur générosité scientifique remarquable ils ont mis à la disposition des chercheurs du monde entier des outils biologiques et leur savoir-faire; ce qui a permis le développement spectaculaire dans le domaine des facteurs de croissance et du cancer. Anita Roberts avait une énorme passion pour la recherche et elle œuvrait constamment pour atteindre l’excellence dans sa démarche. Sa gentillesse et générosité exceptionnelles faisaient d’elle une amie inoubliable, toujours à l’écoute des autres. Ses conseils judicieux et encouragements sincères ont été déterminants dans la carrière de beaucoup de jeunes chercheuses et chercheurs.

Grâce à ses talents de scientifique couplés à ses qualités humaines elle avait créé tout naturellement un « vivre ensemble » au laboratoire, qui était marqué par une culture interactive et coopérative, et d’entre-aide spontanée.

En 2006 notre chère Anita est emportée par le cancer. Anita était une femme splendide dans tous les sens du terme. Dans son journal Anita Roberts, my journey, elle décrit son combat exemplaire de deux ans contre la maladie-malgré un prognostic initial de 2 mois. Elle a perdu ce dernier combat, mais ses recherches ont permis de progresser dans le traitement de cette maladie.

Béatrice BONHOMME

"De ce premier mot qu’un jour je suis parvenue à déchiffrer sont nées la magie, l’impression d’avoir à soi le monde entier. »

Qui êtes-vous ?

Je suis enseignante, chercheuse, revuiste et poète. Pour moi, tout cela est lié. Je suis une amoureuse des mots. Je suis passionnée de littérature et de poésie. Les mots sont ma façon d’habiter le monde. Ecrire, c’est une manière d’être en lien avec le monde et dans le partage avec l’autre. C’est la même chose que j’éprouve lorsque je transmets à mes étudiants des textes de littérature, lorsque je découvre et analyse des œuvres, lorsque j’offre un espace de publication à des poètes et des artistes et enfin lorsque j’écris. Je suis une passeuse de mots par mon métier, par ma revue, par mes poèmes.

Qu’est-ce que faire bouger les lignes pour vous ? 

Ma façon de faire bouger les lignes, c’est inventer de nouveaux liens entre les différents domaines du savoir et de la création, ne pas accepter les étiquettes, les limites, traverser les frontières entre les disciplines et les formes de pensée, tresser science et créativité ; c’est inviter, dès 1993, de très nombreux poètes à l’Université pour des lectures, des séminaires, des rencontres avec les étudiants ; c’est être poète, chercheuse et aussi enseignante. 

Quelle est votre principale force?

Je viens d’une fratrie de cinq enfants dont je suis la dernière et la seule fille, ce qui m’a donné de la volonté, de la persévérance et une grande faculté de disponibilité mais aussi, quand il le faut, de résistance aux autres.

Pourriez-vous nous raconter un fait inspirant de votre carrière ?

Le fil déclencheur de mon amour des mots, la première expérience, a été celle de l’apprentissage de la lecture en pleine nature. Ma mère m’a appris à lire dans la colline, au bord d’une petite route. Elle m’asseyait sur ses genoux, et elle me tendait le livre de lecture. De ce premier mot qu’un jour je suis parvenue à déchiffrer sont nées la magie, l’impression d’avoir à soi le monde entier. Je prends ce premier mot et il me donne en échange la puissance de saisir. J’appartiens désormais à cette matinée éclatante de soleil. Ensuite, durant toute ma carrière d’enseignante, chaque fois que j’ai approché un texte, j’ai éprouvé la même sensation de merveille et j’ai eu envie de transmettre cet éblouissement. C’est ce désir, cette inspiration qui marque toute ma carrière.

Pourriez-vous nous raconter un obstacle et comment l’avez-vous surmonté ?

Quand j’ai créé une revue de poésie et d’art en 1994, beaucoup m’ont demandé de m’aligner. La poésie était alors clivée essentiellement en deux mouvements qui se déclaraient opposés : lyrisme et littéralité. J’ai toujours voulu affirmer quelque chose d’indépendant. Au début, j’entendais des phrases péremptoires comme : « Tu n’as pas le droit de publier un tel ou un tel ». Pour moi, publier une revue, c’était donner carte blanche à des poètes de qualité, de quelque bord que ce soit. Je n’ai jamais voulu me plier à aucun mouvement, à aucune école, à aucun diktat. Ma revue NU(e), qui affirme dans son titre une écriture inclusive bien avant la lettre, a accueilli de très nombreuses poétesses et illustre bien cette résistance et ce désir qui relève de la volonté de me tenir en dehors de toute ligne imposée. C’est une revue de poésie et d’art qui rend compte, sans a priori, sans exclusion, de ce qu’est actuellement le paysage poétique contemporain en France. On me l’a beaucoup reproché et j’ai tenu bon.

Quels sont vos projets ?

Mon questionnement fondamental porte sur la poésie contemporaine. La poésie constitue-t-elle un enjeu contemporain et a-t-elle une place essentielle, d’ordre culturel, social, politique à tenir ? Comment peut-elle contribuer aux liens vivants entre le passé et l’avenir, la tradition et l’innovation, aux échos entre les différentes cultures, favoriser la compréhension entre les différents pôles du langage et de la pensée, permettre le passage de l’intime à l’universel, créer des liens entre les êtres  ? Mon projet consiste à faire entendre et connaître, comme un art vivant, la voix de la poésie contemporaine et à mettre en lumière sa dimension esthétique, philosophique et éthique. Dans mes projets plus personnels, j’écris, en ce moment, un livre qui revisite les formes de la stèle et se dirige vers une nouvelle forme d’écriture : Proses écorchées au fil noir. Par ailleurs, dans le cadre de POIEMA, l’axe de recherche que j’ai créé en 2003 au sein du CTEL, je prévois depuis plus d’un an, avec des amies universitaires et surtout Aude Préta-de Beaufort, qui en est l’initiatrice, un colloque sur cinq universités en même temps portant sur les femmes-poètes. Le titre en est : Poèt(e)s. J’ai également le projet, avec ma fille qui est réalisatrice, de faire le portrait filmé de poètes contemporains. Enfin, dans mon enseignement, je vais faire une part encore plus importante à l’écriture créative.

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ? 

Mes valeurs sont : l’amour, l’amitié, la solidarité, l’écoute de l’autre, le partage. En dehors de ma vie professionnelle, j’aime beaucoup le sport et ma passion, c’est l’art.

Une personne inspirante pour vous ?

Il y a eu plusieurs personnes inspirantes pour moi, mon père Mario VILLANI qui était peintre, ma mère Simone Stéfanopoli qui avait le goût des mots. Comme universitaire, je citerai Jacques CHABOT, mon professeur de thèse, un homme droit et loyal, un chercheur brillant qui m’a donné confiance dans mes possibilités et a confirmé mon amour pour la recherche en littérature. En poésie, c’est Bernard VARGAFTIG qui a été un modèle pour moi par sa rigueur formelle et sa passion pour la littérature.

Virginia D'AURIA

«  Je veux pousser mes réalisations de plus en plus hors laboratoire »

Qui êtes-vous?

Italienne, en France depuis 15 ans et mère de deux filles. Je travaille dans le domaine de la communication quantique qui vise à exploiter les propriétés de la physique quantique pour réaliser de véritables révolutions autour du traitement et de la transmission de l’information. Pour cela, je développe à Nice des systèmes et des composants photoniques qui permettent de sortir la communication quantique hors des laboratoires.

Qu’est-ce que faire bouger les lignes pour vous ?

Établir les technologies du futur grâce à la physique quantique.

Quelle est votre principale force?

Une solide formation en physique et des compétences variées me venant de mon parcours professionnel, mises au service de ma passion pour mon travail de chercheuse et d’enseignante.

Pourriez-vous nous raconter un fait inspirant de votre carrière ?

 Mon recrutement à Nice a coïncidé avec la prise de responsabilités, immédiate, autour de projets scientifiques ambitieux et novateurs ; le soutien de mon laboratoire et de mon équipe d’accueil m’a aidée à mener à bien mes objectifs. Cette expérience positive m’a permis d’évoluer scientifiquement et personnellement et m’a encouragée, par la suite, à développer des nouveaux axes de recherche originaux à Nice. 

Pourriez-vous nous raconter un obstacle et comment l’avez-vous surmonté ?

Je crois beaucoup dans le travail d’équipe. A Nice et en dehors, les échanges avec mes collègues, ainsi qu’avec les étudiants me permettent de résoudre les problèmes et de développer des nouvelles idées. Avoir confiance et pouvoir travailler avec des personnes compétentes et dynamiques est pour moi crucial afin de prendre les décisions les plus pertinentes pour garantir le succès de mes projets. 

Quels sont vos projets ?

Je veux pousser mes réalisations de plus en plus hors laboratoire. Je mets en oeuvre des systèmes quantiques portables et reconfigurables par le biais de circuits photoniques intégrés. Mon objectif est de faire fonctionner ces dispositifs dans une situation réelle. Pour cela, je vise à les inclure dans un lien de cryptographie quantique déployé sur fibre optique que notre équipe est en train de développer dans l’espace UCA. En parallèle, je travaille également sur des sujets d’optique quantique davantage exploratoires, dont l’objectif, à plus long terme, est de fournir des outils de rupture, conceptuels et appliqués, aux technologiques quantiques.

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?

Je crois beaucoup dans l’investissement personnel, l’enthousiasme et l’honnêteté.

Une personne inspirante pour vous ?

Les femmes de ma famille, qui m’ont toutes montré qu’il est possible de concilier l’épanouissement personnel, le travail et la vie de famille d’une façon sereine.

Lucile SASSATELLI

"C'est le défi intellectuel essentiel qui me motive dans mon travail au quotidien"

Qui êtes-vous ?

Lucile Sassatelli, Maîtresse de conférence à Université Côte d'Azur, Membre Junior de l'Institut Universitaire de France (IUF), enseignante au département Réseaux et Télécommunications de l'IUT, et chercheuse au laboratoire Informatique Signaux et Systèmes de Sophia Antipolis (laboratoire I3S) (Habilitée à Diriger les Recherches, Doctrice de l'Université de Cergy-Pontoise.

Qu’est-ce que faire bouger les lignes pour vous ?

Remettre en cause ce qui passe pour acquis ou inébranlable, en particulier par des communautés d'autorité, pour dégager des leviers de progrès.

Quel est votre principale force?

Avoir réalisé l'impact des biais inconscients sur moi, ma vision de moi-même, de mes compétences et capacités, de mes réalisations, de ma pertinence, de mon utilité en tant que chercheuse académique, et leur impact sur ma démarche de recherche. Au cours de ces dix premières années, j'ai pu progressivement affiner ma vision du rôle sociétal que la recherche peut avoir (même la recherche dans mon domaine des réseaux et systèmes multimédia, dont l'impact sur la société peut être considéré comme indirect). J'ai également réalisé combien l'autonomie qui accompagne un poste universitaire permet et exige de déterminer comment combiner au mieux la pertinence scientifique et l'impact sociétal. C'est le défi intellectuel essentiel qui me motive dans mon travail au quotidien.

Pourriez-vous nous raconter un fait inspirant de votre carrière ?

J'ai eu au bout de 7 ans de carrière une crise existentielle de chercheuse. Pour diverses raisons, je décidai pour la première fois ouvertement d'une nouvelle thématique sur laquelle m'orienter, sans répondre à des opportunités extérieures de collaboration. Mon questionnement : Comment me positionner dans le mouvement académique et industriel faisant progresser rapidement le monde du numérique et des réseaux informatiques, pour être la plus utile possible en tant que chercheuse financée par de l'argent public ?

Même si ce questionnement peut paraître évident et primordial, les impératifs pour amorcer une carrière en recherche ne permettent souvent pas de se le poser, ou d'être en situation d'y répondre de manière satisfaisante. Aujourd'hui, je suis heureuse de pouvoir systématiquement intégrer ce questionnement dans mes décisions stratégiques. En particulier, j'ai compris que la recherche efficace ne peut pas être une juxtaposition de compétitions individuelles, comme cela est trop souvent promu, mais doit être un élan commun au service d'intérêts pour le plus grand nombre. Cette perspective est émancipatrice et m'a permis de ré-envisager mes stratégies de recherche, de ressource.

Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?

L'empathie, le bien-commun et le questionnement.

Une personne inspirante pour vous ?

Paulette NARDAL

Pourriez-vous nous raconter un obstacle et comment l’avez-vous surmonté ?

J'ai réalisé, au moins pour moi et sans en avoir conscience les 5 premières années, qu'être une femme avait deux conséquences cruciales dans mon travail. La première est que cela limitait ma vision des problèmes envisageables, et des solutions qu'il était approprié d'étudier. La deuxième est que cela contribue au stress, parfois intense, ressenti au moment d'exposer mes idées, mon travail, et finalement presque de m'exposer : auprès de mes pairs et de mes subordonnés (postdoctorants et ingénieurs notamment), dans leur immense majorité masculins en informatique. Les attitudes prescrites aux femmes ne sont en effet pas celles de remettre en question les normes établies, les règles énoncées, et encore moins de s'exposer pour faire valoir leurs réalisations sans chercher à faire plaisir, sans systématiquement rechercher le consentement. C'est ce qu'on appelle les biais inconscients de genre, dont je n'avais jamais entendu parler avant ma sixième année d'enseignante-chercheuse, et qui ont pourtant façonné ma vie et mes choix. Depuis, je n'ai de cesse d'apprendre les outils psychologiques pour pouvoir faire mienne la liberté effective de recherche et me mettre dans la situation de créer. En effet, la création, contrairement à la procréation, n’est pas un domaine où les femmes sont attendues ou acceptées, comme l'a dit Simone de Beauvoir : « [la création] est une tentative pour fonder à neuf le monde sur une liberté humaine : celle du créateur ; il faut d'abord se poser sans équivoque comme une liberté pour nourrir pareille prétention » .

Quels sont vos projets ?

Mes projets actuels essayent d'avancer vers ces objectifs : allier utilité sociale, pertinence et rigueur scientifique, et faire reculer les inégalités dues au genre, aussi structurantes et internalisées soient-elles. J'ai été nommée membre de l'Institut Universitaire de France en 2019, pour conduire sur 5 ans mon projet de recherche visant à fournir un large accès aux contenus immersifs (réalité virtuelle par exemple), même en conditions réseau dégradées. Une contribution sociétale importante que je vise est la production et diffusion d'un contenu immersif révélant les biais implicites de genre dans les technologies du numérique, qui entretiennent des inégalités criantes et croissantes : 37% de femmes étudiant l'informatique en 1984, 12% aujourd'hui.