Ces femmes qui font bouger les lignes
Édition 2025
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Paula
POUSINHA
« Oser penser autrement et agir, c’est prendre le risque nécessaire pour rétablir l’équilibre en élaborant une nouvelle équation »
Qui êtes-vous ?
Femme de caractère, souvent tête dans les nuages, fascinée par la physiologie des neurones et par la lumière du soleil en hiver. Portugaise, j’ai commencé ma carrière comme professeure dans un lycée, où j’ai enseigné pendant 10 ans. En parallèle, J’ai dédié mon temps libre à la recherche, à la Faculté de Médecine de Lisbonne.
La première fois que j’ai enregistré l’activité électrique des neurones, j’ai été fascinée. Avec un doctorat en 2012, J’ai fait le choix de quitter une vie professionnelle stable, pour partir dans un nouveau pays, la France, pour faire un post-doctorat à l’IPMC, à Sophia-Antipolis. Mon recrutement à Université Côte d’Azur en tant que Maîtresse de Conférences a été un fait marquant dans ma vie et que j’espère inspirant pour mes filles : il n’est jamais trop tard pour croire en soi et poursuivre ses rêves !
Aujourd’hui, je dirige une ligne de recherche sur l’activité des neurones lors du vieillissement et un programme de Master Européen lié à ma thématique de recherche.
Qu’est-ce que "faire bouger les lignes pour vous" ?
Il y a un dynamisme dans l’expression qui m’enthousiasme. Je crois qu’il est parfois essentiel de remettre en question l’existant pour avancer.
Oser penser autrement et agir, c’est prendre le risque nécessaire pour rétablir l’équilibre en élaborant une nouvelle équation.
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Quelles sont vos forces ?
Je vois les difficultés comme des défis à relever et je préfère me concentrer sur les solutions plutôt que sur les problèmes. La curiosité, la perspicacité, l’optimisme, une grande capacité de travail et une touche de folie font partie de moi. Avec le temps, j’ai appris que mes faiblesses, sont devenues une force, car elles me rendent plus humaine. Ma plus grande force : ma famille et les valeurs que mes parents m’ont transmises.
Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?
Deux faits marquants ont contribué à l’évolution de ma carrière : l’obtention de financements qui m’ont permis de développer mes projets de recherche, et la confiance accordée par Université Côte d’Azur et Ulysseus University, pour créer un programme de Master Européen en Biologie du Vieillissement. L’obtention de ce financement a été le fruit d’un véritable travail d’équipe, enrichi par de belles rencontres.
Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?
L’un des principaux obstacles que j’ai rencontré après mon recrutement était de trouver un espace pour intégrer des cours liés à mon domaine de recherche.
Pour surmonter cette difficulté, j’ai collaboré avec un collègue afin de créer un Master conjoint Erasmus Mundus sur la Biologie du Vieillissement, en partenariat avec quatre universités européennes, au sein d’un réseau très compétitif et sélectif, financé par la Commission Européenne.
Nous pouvons désormais attirer les meilleurs étudiants et étudiantes du monde entier et faire de d’Université Côte d’Azur une référence en Europe dans le domaine du vieillissement.
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Quels sont vos projets ?
Le cerveau est un organe fascinant, capable d’apprendre et de s’adapter tout au long de la vie. Pourtant, avec l’âge, certaines de ses fonctions déclinent.
Mon travail de recherche s’intéresse à l’activité des neurones impliqués dans la mémoire, lors du vieillissement. Contrairement à la majorité des cellules du corps, la plupart des neurones sont formés à la naissance et nous accompagnent toute notre vie, parfois jusqu’à 120 ans ! Mais comment ces cellules s’adaptent-elles au vieillissement ? Pourquoi, chez certaines personnes, leur fonctionnement se maintient alors que chez d’autres, il s’altère ? Mon objectif est de mieux comprendre ces mécanismes et d’identifier des signatures neuronales permettant de prédire le risque de déclin cognitif. Au-delà de la recherche en laboratoire, je mets en place des projets visant le rayonnement de notre université. Je suis convaincue que les rencontres sont le catalyseur de projets innovants et multidisciplinaires, essentiels pour développer des solutions ayant un impact sociétal. Créer des espaces de dialogue réunissant différents acteurs et disciplines autour du vieillissement constitue désormais un défi aussi enthousiasmant qu’essentiel.
Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?
L’amitié, la valeur du travail, le respect de l’autre et de l’environnement, la justice, la méritocratie, la liberté d’expression et de décision, l’accès au savoir.
Une personne inspirante pour vous ?
Mafalda, crée par Quino. Un personnage de BD qui m’a inspirée durant mon adolescence et le début de ma vie adulte.
Une vraie personne ?! Je dirai celles qui ont façonné mon parcours : mes grands-mères, qui se sont battues pour élever leurs enfants dans la pauvreté ; mes parents, qui m’ont offert l’accès à l’éducation ; mes professeurs, qui m’ont ouvert au monde.
Et Léonard de Vinci, dont les peintures capturent la lumière comme si elle était intimement tissée dans la toile, et qui fut un véritable visionnaire.
Eva MOUIAL -BASSILANA
« Le plus grand obstacle est celui que l’on maintient soi-même consciencieusement : le manque de confiance en soi. »
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Qui êtes-vous ?
Eva Mouial Bassilana. Je suis professeure de droit privé. Doyenne de la Faculté de droit et de science politique de Nice et directrice de l’École universitaire de recherche LexSociété.
J’ai fait mes études de droit à Nice et j’y ai soutenu ma thèse de doctorat, puis j’y ai été recrutée comme maîtresse de conférences en 2004. J’ai obtenu le premier concours d’agrégation de droit privé et de science criminelles en 2011 et suis revenue en poste à Université Côte d’Azur deux ans plus tard.
Mon domaine de spécialité est le droit des affaires, principalement le droit des contrats et le droit de l’insolvabilité (droit des entreprises en difficulté et surendettement des particuliers).
Enseignante-chercheuse, mariée et mère de deux filles, je tente depuis le début de ma carrière le délicat exercice d’équilibriste entre vie professionnelle et vie privée. Ce n’est pas tous les jours facile mais d’une richesse incroyable !
Qu’est-ce que "faire bouger les lignes pour vous" ?
Faire bouger les lignes c’est ne pas se résigner, ni à une place assignée, ni à une situation figée ou à une injustice. C’est refuser un chemin tout tracé, considérer que l’on peut se dépasser et entraîner avec soi les autres dans une évolution des mentalités. Cela ne passe pas forcément par de grandes révolutions ou de grands discours mais par des actes, au quotidien, une honnêteté et une cohérence qui, au bout d’un moment, permettent de grandes réalisations.
Quelles sont vos forces ?
J’aime mener plusieurs activités de front, je ne crains pas de mener certaines batailles. Je suis indépendante, investie, je m’intéresse à l’autre et j’essaie de trouver des solutions mesurées en toutes choses.
Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?
Le goût de la recherche en droit m’est venu en rédigeant mon mémoire de DEA. C’est là que j’ai compris que j’allais essayer d’en faire mon métier. Et puis, dans la carrière d’un enseignante-chercheuse en droit, il y a le concours national d’agrégation qui tient à la fois du rite initiatique et de l’accélérateur de carrière. Je l’ai obtenu en 2011. Mais cela a aussi et surtout été une réussite collective. Cette année-là, nous avons été trois femmes maîtres de conférences de la Faculté de Nice à le préparer et à l’obtenir (c’était totalement inédit). Nous étions amies avant, nous le sommes restées depuis et ce concours si décrié et si sélectif s’est transformé en une belle aventure humaine. Cela a montré, non seulement, que l’on pouvait réussir en étant une femme d’une faculté de province de taille moyenne comme Nice. Mais, en plus, que le collectif et l’esprit d’équipe pouvaient l’emporter sur le reste. Cela m’a donné confiance et, depuis, j’essaie de participer à ma mesure à l’intérêt général au sein de l’université.
Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?
Les obstacles sont légion pour accéder à la carrière universitaire en droit quand on est une femme venant d’un milieu où personne n’a fait d’études supérieures. Chaque rencontre hostile et chaque situation difficile m’ont fait grandir et m’ont permis de lutter progressivement contre le syndrome de l’imposteur dont je pouvais souffrir. Le plus grand obstacle est celui que l’on maintient soi-même consciencieusement : le manque de confiance en soi. Finalement, ce sont les autres qui m’ont permis, sinon de le surmonter, au moins de le réduire à une dimension acceptable. Mes proches qui, par leur amour et leur amitié m’ont soutenue et portée. Mais aussi tous ceux qui m’ont obligée, par leur conduite, à mener certains combats et m’ont révélée à moi-même. Je les en remercie. Je suis fière aujourd’hui d’avoir montré qu’une femme pouvait être élue doyenne de la Faculté de droit et de science politique à Nice, ce qui est une première depuis sa création en 1962.
Quels sont vos projets ?
Mes recherches s’orientent ces dernières années vers les transformations du droit, notamment celles liées à la transition écologique de l’entreprise ou à la digitalisation et à son impact sur la relation contractuelle.
En tant que Doyenne de la Faculté de droit et de science politique, les projets ne manquent pas. Entourée d’une magnifique équipe, je souhaite accompagner la créativité et l’activité remarquable en recherche à Nice et favoriser un contexte agréable et stimulant pour l’enseignement. Faire de notre campus un véritable lieu de vie et continuer d’agir pour le bien-être des étudiants mais aussi des personnels est l’une de mes priorités. Dans un contexte géopolitique, économique et social sombre, face à la transformation majeure des universités sur le plan national, il s’agit de garder le cap et de protéger les valeurs de l’éthique universitaire, de l’ouverture d’esprit et de l’envie de savoir. Le défi majeur est aujourd’hui bien sûr celui de l’intelligence artificielle. Comment accompagner les étudiants dans leurs apprentissages, les convaincre de l’utilité de ceux-ci quand la machine a supposément réponse à tout ? Comment maintenir un degré d’analyse approfondi, profiter de l’outil sans en devenir dépendant, convaincre de la valeur ajoutée de l’humain ? Le défi est vertigineux mais nous sommes collectivement très mobilisés sur cette question.
Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?
La famille, l’honnêteté, la solidarité, le souci du juste, la curiosité. Et, surtout, ne pas se prendre au sérieux tout en faisant les choses très sérieusement. Toujours savoir décaler son regard et s’observer un petit sourire aux lèvres.
Une personne inspirante pour vous ?
Difficile de n’en citer qu’une mais je pense à Simone Veil.
La résilience, le courage, la discrétion et le combat. Cela force le respect. Mais j’ajouterai que je trouve inspirants tous les invisibles qui, moins connus mais non moins courageux, se battent au quotidien pour que l’on fasse société, encore, envers et contre tout. Ces hommes et ces femmes qui ne renoncent pas malgré les aberrations, les difficultés et les déloyautés qui invitent au cynisme. Ceux qui croient en l’humain et qui, intuitivement, savent ce qu’ils ont à faire.
Paola CANTALUPO
« La danse est bien plus qu’un art : c’est une école de vie qui permet de s’exprimer et de toucher à l’essentiel de notre humanité. »
Qui êtes-vous ?
Je suis Paola Cantalupo, danseuse, pédagogue et directrice artistique, passionnée par la danse et sa transmission.
Formée à l'École de Danse du Théâtre la Scala de Milan, j’ai évolué sur les plus grandes scènes internationales avant de me consacrer à l’enseignement et à la direction artistique. La danse est pour moi bien plus qu’un art : c’est une école de vie qui permet de s’exprimer et de toucher à l’essentiel de notre humanité.
Qu’est-ce que signifie pour vous « faire bouger les lignes » ?
Faire bouger les lignes, c’est innover tout en respectant l’héritage du passé.
Cela signifie créer des passerelles entre la tradition classique et les réalités contemporaines, que ce soit à travers l’interprétation, la pédagogie ou la vision artistique.
Mon engagement à développer le Pôle National Supérieur de Danse Rosella Hightower en est un exemple : accompagner de jeunes talents et les former avec mon équipe pour devenir des danseurs polyvalents, prêts à relever les défis de la danse d’aujourd’hui.
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Quelles sont vos forces ?
Mes forces résident dans ma polyvalence et ma passion pour la danse.
En tant qu’interprète, j’ai exploré un répertoire éclectique, du classique aux œuvres contemporaines, travaillant avec des chorégraphes de renom comme Maurice Béjart, John Neumeier ou Jean-Christophe Maillot.
En tant que pédagogue et directrice, mon sens de l’excellence et de la transmission m’a permis de former de nouvelles générations de danseurs en leur inculquant ouverture, respect de leur corps et de leur identité, créativité et résilience.
Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?
Après mon expérience au sein du Ballet du XXe siècle sous la direction de Maurice Béjart, qui a marqué un tournant majeur dans ma carrière, ma rencontre avec John Neumeier a été une étape fondatrice. Ce chorégraphe, à la fois visionnaire et profondément attaché à la théâtralité de la danse, m’a fait comprendre la puissance du récit et de l’émotion sur scène. Son approche, mêlant une technique rigoureuse à une expressivité dramatique intense, a profondément transformé mon interprétation. Son travail sur des ballets narratifs, où chaque mouvement raconte une histoire, a élargi ma perception de l’art du danseur et influencé ma propre philosophie pédagogique.
Un autre moment clé de mon parcours a été ma longue collaboration avec Jean-Christophe Maillot. Son langage chorégraphique, alliant fluidité, précision et modernité, m’a poussé à explorer une nouvelle physicalité et à affiner mon expressivité. Travailler avec lui m’a permis d’atteindre une maturité artistique plus profonde, en développant une approche plus épurée mais d’autant plus impactante. Sa manière d’aborder la danse, en fusionnant élégance classique et innovation contemporaine, a nourri ma sensibilité et enrichi ma compréhension de l’interprétation
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Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?
Dans la carrière d’une danseuse, l’un des obstacles majeurs est souvent la blessure, qui peut remettre en question la pratique et l’évolution artistique. Un danseur qui ne danse plus ne se sent plus danseur, il a le sentiment que sa propre identité et raison d’être sont remises en question. À la suite d’une blessure causée par la fatigue et la surcharge de travail, j’ai pris conscience des limites de mon corps. Cette épreuve m’a appris l’importance d’une écoute attentive et d’une approche plus respectueuse de mon outil de travail. J’ai alors adapté ma manière de m’entraîner, en anticipant mieux les signaux de fatigue, toujours avec l’exigence de l’excellence, mais dans une dynamique de bienveillance. Cette prise de conscience m’a permis de prolonger ma carrière d’interprète jusqu’à l’âge de 50 ans, prouvant que viser l’excellence est indissociable du respect et de l’attention portés à son propre corps.
Quels sont vos projets ?
Je souhaite continuer à œuvrer pour l’excellence dans l’enseignement de la danse en développant des programmes qui allient tradition et modernité. Je m’investis également dans des projets de sensibilisation pour rendre la danse accessible à un plus large public, tout en soutenant les jeunes talents et en collaborant avec des chorégraphes émergents pour repousser les limites de l’art.
Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?
En dehors de ma vie professionnelle, mes valeurs sont profondément enracinées dans l’éthique, la curiosité intellectuelle et l’ouverture aux autres. J’apprécie la culture sous toutes ses formes et je suis engagée dans la transmission des savoirs et des expériences, que ce soit par le biais de la danse ou d’autres formes d’expression artistique.
Une personne inspirante pour vous ?
Carla Fracci m’a profondément inspiré et touchée par ses qualités d’interprète dans tous les rôles qu’elle a dansés, incarnant avec authenticité chaque personnage. Avec son expressivité unique, elle a su incarner des rôles iconiques très variés avec une grâce et une intensité inégalée, marquant des générations de danseurs.
Quant à Mavis Staines, elle représente pour moi une vision audacieuse et innovante de la danse. À travers son travail en tant que directrice de la Canada's National Ballet School, et présidente artistique du Prix de Lausanne, elle a révolutionné la pédagogie en mettant l’accent sur l’inclusivité, la créativité et l’épanouissement des danseurs au-delà des conventions académiques.
Auriane GROS
« Ouvrir des chemins qui ont été pour nous à un moment donné des barrières. »
Qui êtes-vous ?
Je m’appelle Auriane Gros. Après des études de journalisme et communication à Paris, j’ai réalisé des études d’orthophonie à Nice. J’ai exercé en tant qu’orthophoniste au sein du service de Neurologie de Dijon où j’ai passé ma thèse de Neurosciences puis suis revenue sur Nice et ai passé en parallèle une seconde thèse en traitement du signal et des images. Je me suis impliquée peu à peu, aux côtés du Pr Robert, à l’époque directeur du Département d'Orthophonie de Nice, dans la formation en orthophonie.
J'ai été responsable pédagogique en 2017 et ai obtenu un poste de Maîtresse de Conférence en Neurosciences à l’UFR Médecine et au laboratoire CoBTeK en 2019. J’ai ensuite repris la direction du Département d’Orthophonie de Nice et suis passée récemment Professeure des Universités en Sciences de la Rééducation et de la Réadaptation.
Qu’est-ce que "faire bouger les lignes pour vous" ?
Pour moi faire bouger les lignes c’est de faire passer des lignes verticales en lignes horizontales, c’est-à-dire ouvrir des chemins qui ont été pour nous à un moment donné des barrières. Par exemple, à mon petit niveau, faire bouger les lignes a été de créer un parcours recherche au sein du Département d’Orthophonie de Nice.
En effet, à mon époque, les études d’orthophonie étaient en quatre ans et avaient, au niveau universitaire, une équivalence DEUG. J’ai donc dû tout reprendre depuis le début pour pouvoir passer un Doctorat en Neurosciences et cela en exerçant mon métier en parallèle.
En ouvrant ce parcours à Nice des étudiants et étudiantes ont ainsi eu la formation nécessaire en recherche pour rentrer directement en Doctorat et obtenir des bourses de recherche leur permettant de dégager le temps nécessaire pour leurs travaux.
Quelles sont vos forces ?
Je dirais que ma première force est ma force de travail. Je peux abattre beaucoup de travail car mon travail me motive beaucoup et je le fais avec le sourire car c’est une grande source de plaisir. Ma seconde force c’est mon équipe, car sans une équipe solide vous ne faites rien.
Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?
Il y en a eu plusieurs car ma carrière s’est construite au fil des rencontres. Plus jeune, je n’étais pas vraiment ce qu’on appellerait une « bonne élève » et j’ai eu mon bac de justesse. Aussi, au début je ne recherchais pas du tout une carrière universitaire. Le fait marquant qui a le plus joué sur ma carrière est sûrement celui où j’ai décidé de faire un Doctorat.
À l’époque je travaillais en service de Neurologie à Dijon et avais des interventions ponctuelles auprès de patients en neurochirurgie. Je suivais dans ce cadre un patient qui présentait une tumeur cérébrale para limbique qui devait se faire opérer en chirurgie éveillée à Montpellier par le Pr Hugues Duffau. Avant l’opération j’avais remarqué des troubles émotionnels que je n’arrivais pas à mettre en évidence par les tests cliniques disponibles. J’en ai discuté avec le Pr Duffau, et c’est lui qui m’a incité à réaliser une thèse pour combler ce manque.
Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?
Des obstacles je sais qu’il y en a eu beaucoup, j’en ai totalement conscience. Mais quand j’y réfléchis ce ne sont pas du tout les obstacles qui me viennent en tête mais les visages de ceux avec qui je les ai surmontés. Car je crois que la clef est là : savoir s’entourer des personnes qui partagent nos valeurs, notre humanité et notre solidarité. J’ai une équipe au sein du Département d’Orthophonie qui est incroyable et pour moi l’important c’est de conserver cela car c’est cet esprit d’équipe partagé qui permet de lever les obstacles.
Quels sont vos projets ?
Mes projets concernent mes deux thématiques de recherche principales :
La première thématique est en lien avec mon domaine clinique d’expertise depuis environ 15 ans qui est celui des Aphasies Primaires Progressives. À partir de l’ensemble des données cumulées par mes travaux de recherches, j’aimerai travailler à la révision des classifications actuelles afin de permettre une meilleure prédiction de l’évolution des patients et donc de leur prise en soin.
La seconde thématique, sur laquelle je suis responsable au sein de mon laboratoire, est celle de la sensorialité. Selon moi, les troubles olfactifs sont, au même titre que les troubles auditifs ou visuels, un facteur de risque modifiable de la Maladie d’Alzheimer et c’est ce que j’aimerais vérifier dans mes travaux à venir.
Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?
Liberté et absence de jugement sont mes principales valeurs je pense. Et la tolérance et l’absence de jugement est pour moi une base centrale. Je le rappelle d’ailleurs à mes étudiants et étudiantes dès leur entrée au Département d’Orthophonie. On peut apprendre une technique, des cours théoriques mais être un clinicien s’aiguise toute la vie même en dehors du cadre du soin. Respecter l’Autre, ses convictions et ses choix de vie est ainsi essentiel, que cet Autre soit un camarade, un collègue ou un patient.
Une personne inspirante pour vous ?
Beaucoup de personnes m’inspirent chaque jour. Mes proches, mes collègues, mes ami(e)s. Notamment Elisa Kafer m’inspire par sa spiritualité, Myriam Gérard par sa détermination, Chloé Serignac par son sens du soin, le Pr Phillipe Robert par son humanité. Ils sont tous autant d’inspirations, et je pourrai en citer encore beaucoup…
Mais s’il ne fallait en citer qu’une dont les écrits sont disponibles et pourraient inspirer d’autres je dirais Joséphine Bacon. J’ai eu la chance de la rencontrer à deux reprises et elle inspire tout ce qui m’inspire : poésie, humanité, simplicité et liberté.
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Elena DI BERNARDINO
« Je suis convaincue qu’il n’y a pas d’avancées possibles sur les sujets d’égalités de genre sans que la société soit prête à accueillir la parité. »
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Qui êtes-vous ?
Italienne d’origine, et diplômée au Polytechnique de Milan, je viens en France en 2009 pour y effectuer mon doctorat en Mathématiques à l'Université de Lyon. J’obtiens mon premier poste en 2012 en tant que maîtresse de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris. Puis en 2020, mon profil est retenu pour devenir Professeure des Universités en Statistique au sein du laboratoire Jean-Alexandre Dieudonné d’Université Côte d'Azur. En parallèle, je prends la responsabilité d’une chaire de l’Institut 3IA Cote d’Azur.
Mes intérêts scientifiques sont à l’interface entre les statistiques et les probabilités. Je m’intéresse en particulier à la théorie des valeurs extrêmes et à la géométrie aléatoire. Nonobstant leur apparence bien abstraite, les champs applicatifs sont nombreux. Ces modèles aléatoires peuvent permettre, entre autres, de prédire avec plus de précision les risques climatiques extrêmes ou encore certaines pathologies médicales à des stades précoces.
Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?
Les rencontres d’hommes et (surtout) des femmes. J’ai eu la chance d’avoir eu des exemples de femmes inspirantes tout au long de ma carrière : ma professeure de mathématiques du lycée, ma professeure d’analyse en licence à l’université « La Sapienza » à Rome, mes deux directrices de thèses de doctorat à Lyon et à Grenoble, mes collaboratrices scientifiques aujourd’hui partout dans le monde. Des exemples qui m’ont démontré que l’on pouvait être à la fois femme, souvent mère, et mathématicienne brillantes et épanouies !
Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?
Durant la période où mes enfants étaient en bas âge, partir en conférences par-delà le monde, n’était pas une chose aisée ! Sans le support inconditionnel de ma famille qui perdure encore aujourd’hui, cela aurait été impossible… Je vous partage des souvenirs précieux : mes parents m’attendant derrière la porte d’une conférence internationale avec mon enfant de cinq mois dans la poussette pour que je puisse l’allaiter et donner la conférence ; mon mari acceptant de prendre un congé parental de six mois afin de m’accompagner au Canada pour un séjour de recherche avec mes deux enfants encore bébés.
Qu’est-ce que "faire bouger les lignes pour vous" ?
« Faire bouger les lignes » signifie une grande curiosité et une liberté scientifique. « Faire bouger les lignes » signifie aussi changer le langage, ouvrir aux femmes des rôles de responsabilités.
« Faire bouger les lignes » signifie dire aux lycéennes que « les maths c’est cool et que, non, ce n’est pas un métier d’hommes ». « Faire bouger les lignes » signifie créer une société où l’on valorise les sciences dans un contexte capable de comprendre les besoins et développer les capacités et les rêves de chacune et de chacun.
Quelles sont vos forces ?
Ma source pérenne est l’amour profond pour mon métier et en particulier les échanges et les collaborations scientifiques en France et à l’étranger. Ma force est mon envie de créer autour de moi un environnement de travail stimulant et la transmission de ma passion des mathématiques avec des valeurs humanistes.
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Quels sont vos projets ?
Continuer de m’investir pour valoriser la recherche scientifique française et internationale. Transmettre aux jeunes générations, et à mes étudiants en particulier, le goût pour les mathématiques et les fasciner à la résolution de problèmes théoriques qui peuvent avoir un rôle sociétal majeur dans les années à venir. Je pense typiquement aux applications des mathématiques en biologie, en médecine, dans les sciences de la terre et environnement. Les mathématiques sont fondamentalement un grand jeu : il y a des règles et une très grande marge de liberté à l’intérieur de ces règles. Dans un monde plein de réponses, souvent très simplistes et naïves, le travail déconcertant d’un mathématicien ou d’une mathématicienne est souvent celui de poser les bonnes questions.
Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?
La curiosité, la créativité, le sens du travail, la ténacité, l’empathie, la solidarité.
Une personne inspirante pour vous ?
Je pourrais proposer une liste composée par des femmes scientifiques qui ont marqué ma vie par leur exemple : Elena Cornaro Piscopia, Rita Levi-Montalcini, Marie Curie, Katherine Johnson et beaucoup d’autres encore. Mais, après réflexion, j’ai envie de dire mon père. Mon père a été le premier féministe que j’ai eu la chance de rencontrer quand j’étais petite ! Car pour faire bouger les lignes les hommes ont un rôle crucial à jouer. Je suis convaincue qu’il n’y a pas d’avancées possibles sur les sujets d’égalités de genre sans que la société dans sa globalité soit prête à accueillir la parité et la participation de chacune et de chacun d’abord comme un droit inaliénable, et surtout comme un atout.
Elisabet DUNACH-CLINET
« Mettre en avant la transmission d’une forme de pensée indépendante et libre. »
Qui êtes-vous ?
Je suis directrice de recherches émérite au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), actuellement en retraite. Née à Barcelone, j’y ai étudié la chimie et réalisé une thèse de doctorat. J’ai ensuite poursuivi mes recherches pendant deux ans à l’Université de Californie, à Berkeley. Ayant rejoint la région parisienne durant 8 ans, j’ai été nommée à un poste de chargée de recherches au CNRS. Université Côte d’Azur depuis 1991, j’ai pu créer mon propre groupe de recherche axé sur de nouvelles méthodologies en synthèse organique et je me suis également spécialisée dans la préparation de nouveaux composés d’intérêt pour la parfumerie.
Directrice de recherches, j’ai participé à la création de l’Institut de Chimie de Nice (ICN), suite à un regroupement de divers laboratoires. J’ai assuré la direction de cet institut pendant 8 années, durant lesquelles l’unité a connu un essor important.
Qu’est-ce que "faire bouger les lignes pour vous" ?
Pour moi, « faire bouger les lignes » signifie « Oser ».
En tant que chercheuse, j’ai tenté de mettre en avant la transmission d’une forme de pensée indépendante et libre, basée sur des faits et des preuves, enseigner ces valeurs qui constituent les fondements de la recherche. J’ai essayé d’aborder chaque nouveau défi avec envie et curiosité, sans se poser des limites. Cela a permis d’aller toujours plus loin, de s’ouvrir à des horizons inconnus et de ne pas rester dans sa zone de confort. J’ai pu participer à des projets novateurs, avec dynamisme, rigueur et sérieux, tout en restant ferme sur mes principes.
En tant que femme, j’ai aussi eu à cœur de trouver un bon équilibre entre vie professionnelle et vie familiale.
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Quelles sont vos forces ?
Je pense que mes forces sont la rigueur et l’équité. J’ai l’impression d’avoir mené une carrière avec un fort sens des responsabilités, une ouverture d’esprit, une capacité pour surmonter les défis et les difficultés, ainsi qu’une constante envie d’apprendre.
Mon choix de carrière s’est porté sur un métier qui avait du sens pour moi, ce qui était plus important que la rémunération.
Quel fait marquant à fait évoluer votre carrière ?
L’activité internationale, avec des collaborations variées avec d’autres chercheurs de divers pays, m’a enrichi et a fait évoluer mon parcours de manière très positive.
Trouver un équilibre entre la recherche fondamentale et appliquée, entre les mondes académique et industriel a accru notablement mon ouverture d’esprit. Ces collaborations ont conduit à des contrats et des brevets ainsi qu’à la valorisation des acquis de la recherche.
J’ai eu la possibilité de mener à terme des projets interdisciplinaires. Dans ce cadre, nous avons développé en France le projet Odorants-Odeurs-Olfaction, qui a réuni une cinquantaine de laboratoires et d’industries, avec des activités très diverses autour des composés odorants, incluant, par exemple, la médecine, des sciences humaines et sociales, l’archéologie, des laboratoires de la police scientifique, …
Lors de la direction de l’ICN à Université Côte d’Azur, j’ai dû concilier les activités de recherche avec de nouvelles tâches administratives et financières. Parallèlement, j’ai eu la responsabilité du management d’une centaine de personnes. J’ai essayé de mettre en avant le développement d’une dynamique collective de travail avec rigueur et transparence, afin de valoriser les compétences de chaque membre de l’unité et d’obtenir une cohérence scientifique globale pour le laboratoire.
Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?
Dans le domaine de la recherche, les obstacles sont nombreux et fréquents, car il est nécessaire de toujours innover, tout en veillant à ce que les collaborateurs soient adaptés aux projets, et ceci avec des moyens limités. A chaque nouveau projet, leur réalisation et leur succès sont un défi à chaque étape, et il faut psychologiquement être préparé à surmonter les éventuels échecs. Dans le domaine de la recherche publique, l’obtention de moyens convenables pour développer ses propres projets constitue un enjeu prenant et assez compétitif.
La recherche d’un équilibre entre la vie familiale et la vie professionnelle est un challenge en soi, en particulier lorsque les enfants sont en bas-âge.
Quels sont vos projets ?
Les grands projets scientifiques sont maintenant derrière moi, étant actuellement à la retraite. Je participe toutefois aux discussions de thématiques de doctorants de l’ICN qui développent des sujets proches de mon domaine d’expertise.
Je tiens à la transmission des valeurs scientifiques et des connaissances, en participant à l’association Science pour Tous 06, via des conférences délivrées à un large public de non-experts et de lycéens dans les villes et villages les Alpes Maritimes.
Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?
La famille reste au centre de mon cœur et de mes pensées. Mon mari m’a toujours épaulé, en particulier dans les moments difficiles. J’adore mes deux enfants et mes petits-enfants et je prends toujours du grand plaisir à être avec eux.
Combiner une vie professionnelle intense avec une vie familiale a parfois été difficile, j’ai essayé de transmettre aux enfants des valeurs de responsabilité, de motivation, d’effort, de rigueur, de souplesse, si possible toujours dans la bonne humeur et l’empathie.
Les amis occupent également une place importante dans ma vie, des amis à Barcelone, aux USA, à Paris, à Nice et ailleurs, que parfois j’aimerais voir plus souvent, …. Des débats d’idées, des discussions toujours intéressantes, des liens d’amitié poursuivies au fil des années, … autant de valeurs qui méritent d’être maintenues.
Une personne inspirante pour vous ?
Je ne pourrais pas en citer qu’une. Beaucoup de personnes m’ont inspiré, personnellement et professionnellement, soit par la profondeur leur de leur pensée, par leur personnalité, par leur dynamisme, par leur amitié. Tout le long de mon parcours, les collaborations scientifiques et les contacts nationaux et internationaux ont apporté une richesse indiscutable à mes activités tant scientifiques que personnelles.
Je reste reconnaissante à tous mes collègues et amis pour leur participation à nos activités communes.
Dayle DAVID
« Explorer des objets d’étude que l’on hésite à aborder par crainte de l’inconnu. »
Qui êtes-vous ?
Je suis enseignante-chercheure en psychologie sociale et méthodologie à l’Université Rennes 2 et je collabore étroitement avec le laboratoire LAPCOS d’Université Côte d’Azur, où j’ai réalisé mes études. Je suis donc une sudiste devenue bretonne. Certaines de mes recherches portent sur l’attribution d’humanité à des agents non humains (robots, IA, avatars) quand d’autres portent sur la perception de menace et les stratégies adoptées par les personnes pour gérer l’inconfort psychologique lié aux situations menaçantes. J’ai également un intérêt particulier pour les réflexions sur l’éthique de la recherche et les pratiques de sciences ouvertes. Mise à part cela, je suis une collectionneuse de romans de fantasy.
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Qu’est-ce que signifie pour vous « faire bouger les lignes » ?
« Faire bouger les lignes », selon moi, c’est ne pas avoir peur d’être en marge de ce qui est attendu d’une enseignante-chercheure dans le milieu académique voir au sein de sa propre communauté scientifique. C’est ne pas avoir peur de questionner nos pratiques et nos positionnements, d’explorer des objets d’étude que l’on hésite à aborder par crainte des obstacles ou de l’inconnu. Cela semble tout à la fois passionnant et fatiguant.
Quelles sont vos forces ?
L’entourage scientifique ! J’ai eu la chance, tout au long de mon parcours, d’être entourée de personnes généreuses, passionnées et passionnantes. Ce sont les rencontres et les collaborations qui nourrissent ma curiosité chaque jour et qui me donnent l’envie de partager.
Quel fait marquant a fait évoluer votre carrière ?
En 2023, j’ai pris mes fonctions de maîtresse de conférences à l’Université Rennes 2, seulement quelques mois après avoir soutenu ma thèse à Université Côte d’Azur. Une opportunité très inattendue qui a marqué le début de ma carrière.
C’était à la fois exaltant, avec la découverte d’un nouvel environnement scientifique, et stressant, car il m’a fallu apprendre sur le terrain l’ampleur des missions inhérentes au métier d’enseignant-chercheur.
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Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?
Le premier obstacle de mon parcours a été de ne pas obtenir de financement pour ma thèse, une épreuve difficile tant sur le plan professionnel que personnel. Soutenue par ma directrice de thèse, mon co-directeur et mes proches, j’ai entrepris ma thèse tout en travaillant à côté et m’impliquant activement dans toutes les opportunités pédagogiques, de recherche et de responsabilités que je pouvais assumer. Il était très important pour moi de sortir de thèse avec un dossier aussi solide que celui de collègues financés afin de rester compétitive sur le marché académique. Il était question de sortir rapidement de la précarité.
Plus tard, ce travail d’équipe a été récompensé avec l’obtention du Prix de la Thèse promotion 2022 de la Fondation Université Côte d’Azur de l’École Doctorale « Sociétés, Humanités, Arts et Lettres » et le Prix Science Ouverte de la Thèse 2024 dans la catégorie « Sciences Humaines et Sociales » du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche.
Quels sont vos projets ?
Sur le plan de la recherche, je suis curieuse de nombreuses thématiques, parfois très différentes les unes des autres, et j’aimerais concrétiser tous les projets de recherche qui pourraient répondre à cette curiosité. L’objectif étant de les mener dans les meilleures conditions possibles. Dans les années à venir, j’aimerais également mettre en place un programme de recherche ambitieux qui me permette d’aller encore plus loin. Sur le plan pédagogique, je souhaiterais continuer à développer des outils interactifs pour les cours.
Cette année, j’ai créé un « livre interactif » sur Moodle et j’ai vraiment constaté une différence. Cela m’a permis de renforcer le lien avec les étudiants et les étudiantes, en particulier celles et ceux à distance.
Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?
Le choix de la psychologie sociale n’est pas un hasard. Cette discipline vise à explorer et à mieux comprendre certains processus qui sous-tendent des problématiques de société. Cette démarche prend racine, je pense, dans ma sensibilité aux injustices et aux inégalités sociales.
Une personne inspirante pour vous ?
Je pense d’abord à ma directrice de thèse, Isabelle Milhabet, et à mon co-directeur, Pierre Thérouanne, qui sont tout à la fois pointilleux et d’une grande humilité. Tous les deux se battent continuellement pour que chacun et chacune puisse exercer le métier avec autonomie, liberté et dans les meilleures conditions possibles. Je pense aussi aux étudiants et étudiantes qui, malgré des conditions précaires, persévèrent avec courage pour mener à bien leurs études.
Une pensée va également à mes collègues (et ami·e·s), qui dédient des années à développer des projets de recherche ambitieux avec une rigueur scientifique qui force l’admiration. Et enfin, à mes proches, qui ont le courage d’être pleinement eux-mêmes et de s’affirmer sans détour.
Karin SIGLOCH
« Mes doctorantes et post-doctorantes m'inspirent. »
Qui êtes-vous ?
Je suis géophysicienne. J'essaie de comprendre comment les phénomènes qui se produisent en profondeur de la terre façonnent les processus à la surface tant dans le présent que dans les temps géologiques reculés. Je travaille au laboratoire Géoazur à Sophia Antipolis, où je suis directrice de recherche CNRS.
Avant cela, j’étais professeure de géophysique à l'université d'Oxford et professeure adjoint de sismologie à l'université de Munich (je suis allemande).
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Qu’est-ce que signifie pour vous « faire bouger les lignes » ?
J’imagine souvent que les connaissances, les compétences, les actions et les interactions que je maîtrise forment un nuage moelleux autour de moi. Il s’est développé avec le temps, comme un cumulus dans le ciel par une belle journée. Autour de lui flottent des nuages isolés, plus petits, qui représentent des idées, des intuitions et des relations qui ne s’y rapportent pas directement et sont fragmentées. Celles-ci peuvent provenir d'un livre intéressant en dehors de mon domaine, ou de personnes dont les conversations m'ont marquée. De temps en temps, avec un peu de chance, un de ces petits nuages grandit rapidement et fusionne avec mon gros nuage, parce qu'une nouvelle connexion importante s’est établie. Cela se produit souvent de manière fortuite, lorsqu'une autre personne m'aide à mieux comprendre quelque chose. Les contours solides de mon nuage se sont alors élargis. C’est l’image qui m'est venue à l'esprit en pensant à « faire bouger les lignes ».
Quelles sont vos forces ?
Je pense avoir un talent pour l’observation des choses, notamment l’observation des incertitudes inhérentes aux observations. Les incertitudes nous mettent mal à l’aise car elles nous empêchent d’être sûrs de nos conclusions (ou du moins elles le devraient !). Dans la pratique, il arrive fréquemment que les études géoscientifiques mentionnent les incertitudes liées aux observations, mais ne s’y attardent pas et proposent ensuite une interprétation avec une plus grande assurance qu’il ne le faudrait compte tenu des incertitudes, ce qui est peut-être une manière de se rassurer.
Ces interprétations ont alors tendance à se figer même lorsque les données sous-jacentes ne sont pas plus concluantes. Si l’on parvient à déceler ces décalages et l’absence d'hypothèses suffisamment variées alors que les incertitudes liées aux observations restent élevées, on peut alors identifier des problématiques intéressantes à étudier. J'aime donc les incertitudes.
Quel fait marquant à fait évoluer votre carrière ?
Lors d'une université d'été, alors que j’étais encore en licence, un chercheur expérimenté a pris le temps de me parler de la façon d’aborder la science. Il avait constaté qu'il était essentiel d'identifier les « bons problèmes ». Il entendait par là les questions réellement importantes, dont la solution permettrait à un grand nombre de personnes de progresser.
Il faut résister à l'envie de poursuivre la première idée lumineuse qui se présente et prendre le temps de vérifier si une thématique est vraiment « bonne », alors qu’une « mauvaise » pourrait être trop spécialisée, n’apporter qu’un changement minime ou correspondre à un phénomène de mode. Car une fois que l’on commence à travailler sur la thématique choisie, on s’enlise quoi qu'il arrive : « Les mauvais problèmes sont tout aussi difficiles à résoudre que les bons. Alors, autant essayer de résoudre les bons problèmes. » Ce conseil simple m'a bien servi tout au long de ma carrière.
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Racontez un obstacle et comment vous l’avez surmonté ?
L'absence de modèles dans mon environnement immédiat. Il n'y avait pas de chercheurs dans ma famille et je connaissais très peu de femmes scientifiques, ce qui est un problème lorsque l'on envisage une carrière dans un domaine aussi compétitif. Pour surmonter cet obstacle, il n'y a pas eu de solution miracle. Il m'a fallu quelques années de plus pour explorer différentes activités, avoir la chance de rencontrer de très bons mentors (masculins) et relativiser les pressions et les doutes liés à mon parcours de chercheuse en sachant que je pourrais aussi trouver ma place dans d’autres professions, s’il le fallait. Heureusement, je n’ai pas eu besoin d’envisager cette option !
Quels sont vos projets ?
Je souhaite apporter une contribution majeure à l'observation de la terre solide depuis l’océan, grâce aux instruments sous-marins autonomes en cours de développement dans mon groupe de recherche. J’ai, bien sûr, mes propres hypothèses préférées sur le fonctionnement du manteau terrestre, et j'ai besoin de meilleures images de l'intérieur profond de la terre pour les tester. Depuis mon arrivée en France, je me suis également beaucoup intéressée à la façon dont les volcans situés sous l'océan fournissent à la biosphère marine des engrais (nutriments) extraits des roches du manteau.
Quelles sont vos valeurs en dehors de votre vie professionnelle ?
Je pense que mes valeurs sont les mêmes et que je suis la même personne. Il s’agit de poursuivre l’observation et les expériences pour tirer des leçons des résultats, d’essayer de déceler les vérités et de le faire avec rigueur, mais aussi de rester humble par rapport à l’étendue de mes connaissances. D’être curieuse des autres et d’essayer de les apprécier sincèrement. Dans le milieu de la recherche et de l’université, nous sommes entourés de personnes fascinantes et exceptionnelles. C’est une chance !
Une personne inspirante pour vous ?
J’ai du mal à identifier une personne en particulier. Je me sens inspirée lorsque je vois des gens « ordinaires » faire preuve de courage, de résilience et de conviction pour une cause importante. J’en « rencontre » souvent à travers les reportages d'excellents journalistes et cinéastes. Je remarque aussi ces caractéristiques parmi les gens de la vie quotidienne, de façon modeste la plupart du temps, mais parfois de façon plus spectaculaire.
Pour en revenir aux « femmes qui font bouger les lignes », mes doctorantes et post-doctorantes m'inspirent parce qu'elles ont souvent dû surmonter des obstacles considérables pour venir étudier dans un pays étranger, aller à l’encontre des attentes familiales ou culturelles, faire preuve de résilience malgré la solitude, le stress et les changements constants. Je sais que c'est très difficile, et je remarque souvent chez elles une force tranquille et discrète qui m'inspire et me donne de l'espoir, car je sais qu’elles s'en serviront partout où elles iront.